jeudi 28 décembre 2006

CINE : THE FOUNTAIN



Nouveau film de Darren Aronofsky (Pi, Requiem for a dream) sur le deuil et la transcendance, The Fountain m'a touché exactement là où ça fait mal. Hugh Jackman, scientifique, cherche par tous les moyens à guérir sa femme écrivaine atteinte d'un cancer incurable. Celle-ci lui demande de terminer le roman qu'elle écrit : une quête de l'arbre de la vie biblique qui débute lors de l'Inquisition espagnole et s'achève dans un futur mystique. Certains ne manqueront pas de trouver The Fountain grotesque, boursouflé ou kitsch. Je peux les comprendre. Mais lorsque le film trouve une caisse de résonance adéquate, il peut également bouleverser (j'ai mis douze ans avant de pouvoir faire face à la mort de mon père, douze ans avant de m'autoriser à y réfléchir et en parler réellement).

Si le discours d'Aronofsky sur l'acceptation de la mort est assez simple, la manière dont il le fait ressentir au spectateur est plutôt unique. La trajectoire psychologique et métaphysique de Jackman est puissamment exprimée par des correspondances symboliques entre le réel et l'imaginaire - évoquant Le labyrinthe de Pan, pour prendre un exemple récent -, une narration qui progresse par cycles, ainsi qu'une musique et des images qui s'entremêlent de façon singulière, typique d'Aronofsky (voir le big-bang sensoriel final, d'autant plus beau qu'il part d'un silence). Alors, grand film ? Je ne sais pas. Il est certainement moins marquant et maîtrisé que Requiem for a dream. Il est sûrement bridé, esthétiquement et émotionnellement, par son faible budget et sa BO en demi-teinte. En tout cas, les larmes ne m'étaient pas montées aux yeux après la projection d'un film depuis Be with Me. Et j'y ai souvent pensé depuis hier soir. Ce n'est pas si fréquent.

mercredi 20 décembre 2006

JEU VIDEO : FINAL FANTASY XII



Depuis Final Fantasy VI en 1994 - l'une de mes madeleines de Proust ultimes, et une date du jeu vidéo -, ou Chrono Trigger en 1995, aucun RPG (jeu de rôle) japonais ne m'avait ensorcellé à ce point. Elu "jeu de l'année 2006" par le prestigieux mag anglais Edge, Final Fantasy XII est un monstre, par ses proportions, son temps de développement, son budget, son succès commercial, son importance créative, ses qualités de fabrication. Un bouleversement. Ici, pour la première fois dans l'histoire de la série FF (en dehors du X-2, peut-être, et évidemment du XI, exclusivement online et qui ressemble beaucoup au XII), c'est le système de jeu et les sous-quêtes, non la narration, qui prévalent.

Certes, une multitude de petites histoires touchantes (parfois évoquées le temps d'un simple dialogue avec un personnage) humanisent chaque rencontre, chaque objectif, chaque endroit. Certes, le background de l'univers de FFXII a fait l'objet d'une attention extrême : le langage Seeq utilisé par l'une des peuplades du jeu a même été intégralement inventé et structuré, avec une grammaire et de longues listes de vocabulaire ! (c'est le traducteur américain du jeu qui le déclare dans ce passionnant entretien) Le défaut majeur de FFXII est ailleurs : les enjeux dramatiques sont très dilués, les personnages et leurs relations, sous-exploités, le scénario manque de pics d'intensité en dehors de la fin du premier chapitre... Le jeu est si vaste, la liberté de déplacement, si grande, la malléabilité et la fluidité du système de combats, si réjouissantes (1), qu'il est très facile pour le joueur de s'abandonner à une errance contemplative ou guerrière sans fin, incompatible avec une histoire puissante et structurée.

Plutôt que de sauver le monde, le joueur préfère le regarder, le cartographier, le conquérir. Même après 90 heures de jeu, Final Fantasy XII ne cesse d'enchaîner des lieux, des images, des musiques, des personnages, des situations inoubliables... Rarement un monde de jeu vidéo ne m'a procuré un tel sentiment d'ampleur de la quête, de foisonnement stratégique, de présence intimidante. La gigantesque profondeur de champ, les architectures absolument monumentales des villes, des temples, des forêts suspendues, les conditions météo, la profusion de détails, le flamboiement des couleurs, la pertinence, la magie ou l'étrangeté des effets spéciaux (les fantomatiques reflets des personnages dans la brume...) placent FFXII parmi les grands jeux-lieux, fantastiques et entêtants, que sont Half-Life 2, Halo, Ico, Shadow of the colossus, Silent Hill, Prey ou Psychonauts.

Dans une intéressante interview donnée à GameKult, l'un des producteurs exécutifs du jeu affirme que le but était de "créer un monde uni, une sorte de continuum où les régions seraient reliées entre elles et que l'on pourrait traverser à pied. Nous voulions développer une thématique du voyage". Un voyage : c'est la promesse de nombreux RPG japs, mais FFXII la réalise avec démesure (2).

(1) Extraordinairement addictif, le système de jeu de FFXII est néanmoins déséquilibré. Les sorts d'attaque, les techniques, les invocations sont presque inutiles, alors que les sorts de défense, les "mist knacks", certains objets comme le "Bubble Belt" et certaines armes comme "Main gauche" sont bien trop puissants.

(2) Et ce morceau signé Hitoshi Sakimoto, le singulier compositeur de Radiant Silvergun, Gradius V ou Final Fantasy Tactics, n'est pas la moins belle incitation au voyage. C'est peut-être ma musique préférée du jeu, entre classicisme et audace - le bridge assez sombre au synthé est très beau.

mardi 5 décembre 2006

MUSIQUE : JOANNA NEWSOM

Deuxième album de la jeune harpiste Joanna Newsom, encensé par une critique quasi unanime (même par les méga snobs de Pitchfork ou Chronic'art), Ys use mes enceintes depuis quelques semaines. Pour résumer, c'est comme si Björk avait décidé de faire un concept-album de folk progressif sur la légende d'Ys. Facile d'accès et inépuisable à la fois, Ys est composé de cinq morceaux d'une dizaine de minutes, portés par de longues phrases musicales entêtantes et sublimes, par la voix de gamine habitée de Newsom, par de belles envolées orchestrales et de riches instrumentations. Pour se faire une idée du talent de la demoiselle au physique d'elfe, écouter ce morceau et cette vidéo live.

jeudi 30 novembre 2006

CINE : LES INFILTRES



The Host et Casino Royale la semaine dernière, et maintenant Les Infiltrés : dingue de voir sortir trois films de genre aussi parfaits en aussi peu de temps. Lorsque j'ai appris que Scorsese allait tourner un remake du long métrage hongkongais Infernal Affairs, j'ai espéré un grand film - ce que n'était pas Infernal Affairs, malgré son excellent script. Son scénariste, Alan Mak, avait découvert le génial Volte/Face de John Woo * et décidé d'en créer une version dénuée d'éléments fantastiques : un flic infiltré dans la mafia et un mafieux infiltré chez les flics croisent leurs trajectoires. Malheureusement, une mise en scène vulgairement tape-à-l'oeil et des séquences au sentimentalisme grotesque (rappelant les pires Woo, justement) empêchaient Infernal Affairs de décoller.

En reprenant l'essentiel du scénario d'Infernal Affairs pour le transposer à Boston dans la communauté irlandaise, Les Infiltrés s'affirme dès ses premières secondes, et jusqu'à son mémorable dernier plan, comme une riche métaphore de l'Amérique voire de l'Occident, assimilé à un monde clos infesté de rats où "il faut prendre, car personne ne donne rien". Un monde construit sur les faux-semblants, la trahison, l'assassinat, dont on ne peut s'échapper qu'en mourant. Les Infiltrés, c'est surtout un film de genre d'une efficacité rare, nerveux à s'en tordre l'estomac, à la narration ultradense et au montage virtuose (les scènes d'installation !), un modèle d'écriture classique servi par des acteurs tous sidérants (Nicholson dans son plus grand rôle depuis des années, DiCaprio bouleversant), qui se régalent de dialogues mitraillette. Les quelques modifications apportées au scénario d'Infernal Affairs sont d'une impeccable pertinence, accroissant les enjeux dramatiques, la complexité des personnages et la résonance politique.

Baffe monumentale et imparable, Les Infiltrés donne plus que jamais confiance en un cinéma de genre haletant et intelligent. Merci à John Woo : grâce à son Volte/Face, c'est un bon film (Infernal Affairs) et un grand film (Les infiltrés) qui ont pu voir le jour.

* Ce qui m'oblige à parler de Volte/Face, sûrement le chef-d'oeuvre de Woo et l'une des plus importantes superproductions d'auteur américaines des années 90. Afin d'infiltrer le milieu du grand banditisme pour éviter un attentat, John Travolta subit une opération délirante : il prend l'apparence de son ennemi juré Nicolas Cage, tombé dans un coma profond. Mais quelques jours plus tard, Cage se réveille, écorché sans visage, et parvient à se faire greffer celui de Travolta. A partir de cette idée folle, Woo aborde puissamment, avec son habituel sens de la chorégraphie et du découpage, le thème du masque qui colle à la peau. Il en explore les aspects psychologiques, moraux, affectifs et même, parfois, sociaux et politiques. Il profite ainsi de l'inversion des rôles pour révéler les dessous du rêve américain, critiquant notamment le système carcéral dans un style expressionniste.

UNE CITATION

"L'art ? Le désir (...) d'un remuement qui fasse surgir le monde, la société, soi-même, autrement que sous les modalités du déjà vu et du déjà compris"

- François Châtelet, dans un texte sur le livre de Bourdieu "La distinction, critique sociale du jugement" (lire aussi cet ensemble de textes)

vendredi 24 novembre 2006

CINE : THE HOST

Après le très singulier Memories of Murder, enquête noire et burlesque sur fond de dictature militaire sud-coréenne, le réalisateur Bong Joonho revient avec The Host, peut-être bien l'un des films de l'année, en tout cas une oeuvre absolument inclassable et immanquable. The Host, c'est à la fois un film de monstre grisant et effrayant ; une comédie sombre ; un drame vraiment touchant ; une critique par instants kafkaïenne de l'abandon dont sont victimes les Coréens (surtout les plus faibles : pauvres, orphelins, débiles légers...) ; et une évocation grinçante, inspirée de faits réels, des rapports houleux entre la Corée et les Etats-Unis. Parfois (notamment dans les scènes finales qui couronnent un scénario remarquablement bien écrit), c'est tout cela en même temps !

En dehors de Spielberg (la Guerre des mondes), Raimi (Spider-Man 2), Verhoeven (Starship Troopers) ou Jackson (La communauté de l'anneau), rares sont les cinéastes à avoir filmé des effets spéciaux numériques avec ce regard et cette inventivité-là. L'utilisation de la profondeur de champ ou du hors-champ est souvent sidérante, les gestes et l'intégration de la créature aux décors, magnifiques (comme un singe géant, elle saute d'une partie d'un pont à une autre en s'accrochant avec sa queue, dans un incroyable mouvement de balancier). Autant de qualités rares qui font du film un sacré divertissement populaire, capable de plaire à n'importe quel public - avec 12 millions d'entrées dans son seul pays d'origine, il s'agit d'ailleurs du plus gros succès de l'histoire du ciné coréen.

mardi 21 novembre 2006

JEU VIDEO : QUAND NINTENDO PARLE

Nintendo est l'un des plus grands studios mondiaux de création de jeux vidéo. C'est aussi l'un des plus mystérieux - on se souvient des pauvres journalistes anglais de Edge (le magazine spécialisé le plus respecté dans le monde) qui, pour leur n°100, se déplacèrent jusqu'au Japon pour finalement obtenir 45 misérables minutes d'interview avec le président de la société et le créateur des séries Mario et Zelda, Shigeru Miyamoto. Il est certes arrivé à Shigeru Miyamoto de s'exprimer en détails sur son métier, mais rarement (un discours prononcé à une conférence professionnelle en 99, ou quelques entretiens dont celui-ci, malheureusement trop court, que j'ai réalisé).

Hé bien le temps des secrets est révolu. Sur le site officiel de la Wii - la nouvelle console de Nintendo -, de très longues et passionnantes interviews d'employés de Nintendo décrivent avec précision, humour et intelligence le processus de conception de jeux comme Wii Sports ou Zelda. Ici, peu de langue de bois ou de discours promotionnel. Pour la première fois, on mesure très exactement la quantité de talent, de temps et de travail nécessaire au développement de projets colossaux comme Twilight Princess, le dernier épisode épique et mélancolique de Zelda. Voilà quelques extraits remarquables de ces interviews :
"J'ai d'abord connu Zelda en tant que joueur, et ce que j'ai toujours admiré et considéré comme l'essence de Zelda, c'est que lorsque le joueur essaie une action pour voir ce qu'il va se passer, le jeu répond toujours de manière appropriée".

"Le jeu autorise tant d'actions différentes que le joueur n'a jamais l'impression d'être obligé de faire quelque chose. Cela donne au joueur le sentiment d'avancer dans le jeu grâce à ses propres initiatives et aux solutions qu'il a trouvées tout seul. Pour moi, c'est l'essence de Zelda que de donner cette impression que l'on progresse à sa manière".

"Tracer la frontière entre les objets avec lesquels il est possible d'interagir et les réponses adaptées du jeu d'un côté, et tout ce qui est superflu de l'autre, n'est vraiment pas facile. Si vous en enlevez trop, le monde du jeu perd en réalisme mais si vous en laissez trop, la tâche est infinie".

"A un moment dans le jeu, Link se transforme en une espèce de loup. En d'autres termes, le joueur doit diriger une créature à quatre pattes. Alors que nous discutions de l'apparence du loup, Miyamoto-san nous a fait remarquer qu'il n'était pas très intéressant de voir sans arrêt de derrière un animal à quatre pattes. Il est vrai que si vous regardez un animal à quatre pattes de profil ou de trois-quarts, vous pouvez voir le mouvement des pattes et celui du reste du corps. Mais vu de derrière, c'est bien plus ennuyeux qu'un humain. Miyamoto-san nous a donc suggéré de jucher quelqu'un sur le dos du loup. Au début, nous y avons mis un personnage assez neutre, mais au final, ce personnage occupe une place centrale dans l'histoire".

"Evidemment, le jeu n'a pas été conçu pour réagir à tout ce qui pourrait vous passer par la tête, mais il y a beaucoup de ces situations où vous vous dites "je parie qu'il y a quelque chose par là !" Et une bonne surprise a été placée dans le jeu à cet endroit. Les développeurs essaient toujours de voir les choses du point de vue du joueur, et je pense qu'ils placent ces éléments dans le jeu en sachant pertinemment ce que le joueur ferait dans une situation donnée".

"Dans Zelda, une fois que le joueur a résolu une énigme, il doit pouvoir paisiblement profiter du jeu pendant quelque temps. En ce sens, c'est une construction très différente des jeux du type "Mario" où la difficulté augmente de façon constante".

"Bien que Mario et Zelda reposent sur le même principe, je dirais que Mario est amusant d'une façon immédiate et très accessible, alors que Zelda donne vraiment le sentiment de s'épanouir et d'évoluer tout au long du jeu".

"Miyamoto-san m'a simplement dit "Va faire du cheval !" (rires) J'ai emmené le designer responsable du cheval et la personne responsable des animations de Link et du cheval, et nous sommes partis tous les trois travailler sur le terrain. Comme nous sommes débutants, notre maîtrise laissait un peu à désirer, mais cela nous a permis d'apprécier la taille des chevaux en étant à leurs côtés, ainsi que la sensation de chevaucher un animal imposant, avec cette impression agréable de ne pas tout contrôler. Nous avons expérimenté tout un tas de choses, y compris la façon dont monter à cheval affecte votre champ de vision, et je crois que certains éléments du jeu n'auraient pas pu être intégrés si nous n'avions pas tenté l'expérience. C'est vraiment ça que je voudrais que les joueurs ressentent".

"Je pense que l'essence de Zelda, c'est le fait d'être au cœur de l'action, que ce qui se passe dans le jeu vous arrive à vous, le joueur. C'est un jeu où lorsqu'on est absorbé dans l'aventure, on n'a plus l'impression de contrôler un personnage mais d'être soi-même en train de pousser des blocs. On a alors réellement le sentiment d'avoir résolu des énigmes au cœur d'un donjon. Et cette sensation ne se retrouve pas uniquement dans la résolution de puzzles ou lors des combats : on la retrouve également lorsqu'on rencontre de nouveaux personnages ou qu'on découvre de nouveaux lieux. En fait, on pourrait le résumer en une notion, celle du "fantastique", mais le fait de s'immerger dans un monde imaginaire est différent de l'expérience que l'on peut vivre en regardant un film. C'est ce qui rend les jeux Zelda uniques. En jouant, on est aussi amené à rencontrer une foule de personnages uniques et décalés, le genre qui vous fait penser "aucun jeu ne devrait voir apparaître un personnage pareil !". C'est quelque chose qui n'est pas essentiel mais que l'on pourrait qualifier de typiquement " Zelda-esque"".

lundi 20 novembre 2006

CINE : LE REGNE DU FEU

Réalisé en 2001 par Rob Bowman (qui a notamment signé le film X-Files et certains des meilleurs épisodes de la série), Le règne du feu est une putain de série B fantastique, passée relativement inaperçue et qui mérite d'être réévaluée. A Londres, lors de travaux de forage, des ouvriers découvrent une cavité mystérieuse - en fait le nid d'un dragon gigantesque qui se réveille et décime tout sur son passage. Vingt ans plus tard, les dragons ont réduit en ruines la planète entière et quelques survivants se retranchent dans un château... Bowman prend son sujet très au sérieux - l'extinction des dinosaures est même attribuée aux dragons dans l'astucieux générique - et livre un film dont le brio formel et l'ambiance post-apocalyptique moyenâgeuse évoquent Mad Max 2. La mise en scène extrêmement élégante en 2:35 (superbe travelling sur Christian Bale traversant un cimetière au crépuscule) est riche en plans iconiques qu'on croirait sortis d'un comic-book. La direction artistique, flamboyante, s'appuie sur une photo cendreuse qui met en valeur le souffle et la peau rouges des dragons. Epique, impeccablement rythmé et à la fois sec, "classique" et intelligent dans son scénario, Le règne du feu figure à mon sens parmi les films fantastiques US les plus jouissifs des années 2000.