jeudi 15 octobre 2009

VOYAGE : L'ISLANDE



L'Islande… Jusqu'à présent, le voyage de ma vie. Extraterrestre. Hors de proportion. FOU. C'est le début des temps, ou la fin des temps, ou l'Enfer, ou la Lune, mais ce n'est plus tout à fait notre planète. D'ailleurs, si vous voulez apprendre comment une monstrueuse éruption volcanique a produit une sorte d’apocalypse mondiale il y a deux siècles et contribué à déclencher la Révolution française, lisez donc ce compte-rendu en images, souvent spectaculaires. Pour le reste, la vidéo ci-dessus concentre en cinq minutes les moments forts du voyage. A regarder de préférence en haute résolution et en plein écran.

Choc sensoriel, donc, mais qui n'est pas sans donner matière à réfléchir. En traversant ces paysages à la beauté, à la diversité et aux contrastes insensés, qu'on croirait dessinés par un artiste dément, je n'ai pu m'empêcher de penser aux jeux vidéo et à ce que j'ai recherché à travers eux depuis que je suis petit : un mystère ; un voyage facile dans des lieux irréels qui se dévoilent peu à peu ; une fascination panthéiste pour une nature pastorale, angoissante ou sublime (au sens de Burke). On sait que Shigeru Miyamoto, le créateur de Super Mario et The Legend of Zelda, aspire à transcrire dans ses jeux des sensations précieuses : celles qui l'habitaient quand, enfant, il découvrait des grottes ou d'étroits chemins dans les forêts de sa campagne natale. Et des titres aussi divers que Half-Life 2, Halo, Ico, Shadow of the Colossus, Silent Hill 2, Grand Theft Auto IV, Uncharted : Drake’s Fortune ou Psychonauts façonnent des mondes inoubliables, qui portent les traces d’un long passé, écrasent le joueur sous des perspectives monumentales ou utilisent l'espace comme une métaphore de l'esprit.

Je n'avais pas encore visité un pays capable de me procurer des émotions comparables. Et puis j'ai vu cette immense chaîne de cratères menant à un glacier de la taille de la Corse, ces nuages bas se déchirer en pleine tempête pour révéler le ciel bleu pendant une poignée de secondes, cette nature si hostile que pas un insecte, pas un animal ne peuvent s'y aventurer, ce lac couvert d’icebergs qui atteint 200 mètres de profondeur à certains endroits, ce volcan dont la dernière éruption, en 2000, a duré 11 jours, ces rideaux de pluie obscurcissant un panorama digne du Seigneur des Anneaux - désert de cendre noire et de rochers, petites rivières, glaciers, fumerolles, montagnes marrons, orangées et bleutées. J’en ai encore des frissons.



Dans des conditions aussi difficiles – il arrive que des touristes frôlent la mort voire trépassent sur le parcours que nous avons suivi -, une espèce de lien, de solidarité implicite se tissent souvent entre les randonneurs, unis dans l’adversité. Quand j’ai été contraint de m'allonger deux fois pour me protéger de la puissance inouïe du vent, quand de petits grêlons mêlés à de minuscules cailloux m’ont fouetté la peau et les vêtements, quand j’ai remonté une pente atroce sur un chemin glacé, je n’ai jamais été seul. J’ai régulièrement pensé au roman La Horde du Contrevent, incontournable chef-d’œuvre déjà évoqué sur ce blog. A ce passage, par exemple :
Sitôt qu’Arval sortait du Pack, je me retrouvais insuffisamment abritée, par intervalles soumise au plein vent. J’avais froid, cette impression, que je dispersais mal, d’être progressivement percée à nu et faufilée dans mes fibres. Mon pantalon faseyait aux mollets, le tissu tirait aux manches et au cou, jamais assez épais à cette vitesse, assez opaque. J’enviais les buissons, l’espace qu’ils s’aménageaient entre les branches pour laisser passer les gros flocons d’air… Depuis que j’étais petite, souvent le même rêve idiot : j’aurais voulu devenir, à ces moments, une haie de buis, pas cette voile de peau en travers du flux, ce tronc à plat sans même de racines aux pieds, pour s’associer à la terre…

Dans la ravine, la pluie si redoutée arriva d’un coup. Des billes d’eau éclatantes sur mon front, qui faisaient des ronds sombres dans mon maillot bleu… Et aussitôt l’averse vira au déluge, les gouttes devinrent si denses, et si puissant le vent, que je restai plusieurs secondes sur place comme un caillou ripant au fond d’une rivière en crue. Je reculais, la peur de décrocher au ventre…
— Rivek Dar, Arval !

Sur un appel de Golgoth, Arval rejoignit le Pack, je baissai la tête, tout le monde s’était resserré d’un seul coup, sans cris ni concertation, un réflexe animal de harde instinctive. On ne s’en sortirait pas seul, personne, pas même le Goth, on n’était qu’un petit tas de chair frêle en mouvement, soudés un bloc, désunis presque rien, à peine un billot de bois craquelé prêt à fendre sous la rafale, de la sciure à souffler à la bouche. Et tout le monde le savait, Pietro et Sov plus que tous les autres qui contraient une belle moitié du temps carrément dos à la pluie, tournés face à nous, pour mieux chaîner du geste et de la voix le Fer — le Fer au Pack, le Bloc aux crocs —, rien qu’avec des regards parfois, quelques mots de placement, de cadence ou d’amour.
« Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation », affirmait Debord dans la Société du Spectacle. La phrase est aussi péremptoire et contestable que peut l’être un aphorisme, mais elle m’est fréquemment venue en tête en Islande, où ce qui est « directement vécu » atteint un degré ultime de compacité, d’acuité et d’ineffabilité. Le plus ironique étant que mon appareil photo, capable de filmer des vidéos en haute définition, capturait bien plus fidèlement la réalité que mes yeux légèrement myopes. J’ai même quasiment redécouvert l’Islande en sélectionnant les photos et en montant le clip. Le réel plus fort que la représentation, la représentation qui dévoile le réel : c’est sur cette idée très hitchcockienne (Fenêtre sur Cour) ou de palmienne (la majorité de son oeuvre) que je conclus ces divagations.

3 commentaires:

Phil a dit…

Bonjour,

Merci pour ce post très intéressant et pour cette vidéo magnifique !

J'ai moi même envie de partir en Islande cette année (mon rêve), je voulais connaître la façon dont tu es parti, voyage organisé? Organisme? Autres? Et par la même occasion si tu pouvais me donner les liens internet de ces derniers.

Pour l'instant je suis dans la phase recherche, et j'aimerais profiter des paysages Islandais pleinement.

Bref en tout cas merci pour le blog et les articles ;)

Blog l'éponge a dit…

Merci pour les compliments !

Eh bien, nous sommes partis à 4, et j'ai organisé le séjour moi-même avec un simple guide du routard (je déteste les machins organisés).

Nous avons dormi soit dans des dortoirs, soit dans des maisons louées. En gros, ça revenait à 15 ou 20 euros par nuit et par personne.

Nous avons loué un 4x4 pour traverser le nord du pays, et ça me paraît indispensable pour vraiment profiter de l'Islande et des endroits les moins accessibles.

Pour manger, nous faisions les courses dans les magasins qu'on croisait, et nous avons également mangé dans quelques restos à Reykjavik.

Voilà. Je peux te donner davantage de détails mais je pense qu'il vaut mieux que tu compulses le routard pour organiser ton voyage perso ! Tout le monde n'a pas les mêmes envies en allant en Islande.

Phil a dit…

Merci pour ta réponse. C'est bien ce que je pensais et il me semble en effet qu'il s'agit de la meilleure méthode pour profiter du voyage.

Je vais me renseigner, en tout cas je te remercie.

Et bonne continuation pour ton blog.