dimanche 26 octobre 2008

CINE : BATMAN RETURNS


On le sait, Tim Burton n'est pas satisfait du premier Batman. Bridé par le script sans relief de Sam Hamm, par les responsables du studio Warner et par son manque d'expérience (il s'agit de sa première superproduction), Burton livre une oeuvre qui lui ressemble peu. "J'aime certaines parties, mais le film était un peu ennuyeux par moments. J'ai commis l'erreur de laisser l'histoire à l'abandon", reconnaît-il. Peu emballé à l'idée d'en tourner une suite, Burton cède finalement aux pressions de la Warner. A une condition : une liberté artistique totale. Un premier script fade écrit par Sam Hamm passe donc à la trappe (heureusement : le Pingouin et Catwoman y... cherchaient un trésor !). Lui succède un scénario signé Daniel Waters (Heathers) où l'entrepreneur véreux Max Shreck (Christopher Walken) soutient la candidature du Pingouin (Danny DeVito) à la Mairie de Gotham City. "Je voulais montrer que les vrais méchants de notre monde ne portent pas nécessairement de costumes", souligne Waters.

GIRL POWER

Batman Returns se concentre sur les adversaires de Batman (Michael Keaton), aussi tourmentés et schizophrènes que le Chevalier Noir lui-même. Waters et Burton réécrivent d'abord le rôle de Selina Kyle / Catwoman (Michelle Pfeiffer). Ils en font un magnifique personnage-somme, tour à tour victime, héroïne, prétendante, ennemie ou alliée pour Batman. "J'avais huit ans à l'époque de la série télé, et Catwoman brisait beaucoup de tabous sociaux", ajoute Pfeiffer. "Les petites filles étaient élevées pour être mignonnes, polies, pas pour incarner des personnages aussi physiques voire agressifs. Vous ne savez jamais si Catwoman est séductrice ou maléfique. Cette ambiguïté me fascine".

DOUBLES

Waters et Burton réinventent surtout le personnage du Pingouin. Présenté comme un simple voleur aux manières d'aristocrate dans la BD, il est ici une créature difforme, mi-humaine mi-animale, abandonnée par ses parents fortunés mais avide de reconnaissance sociale. Le film va jusqu'à le décrire comme une sorte de pendant monstrueux du milliardaire Bruce Wayne / Batman. "Si ses parents ne l'avaient pas jeté dans les égouts vous auriez pu être copains de promo", lance même Shreck à Wayne, lui aussi orphelin. Une autre scène illustre cette proximité entre Bruce et son ennemi. A la télévision, Wayne voit le Pingouin expliquer son désir de connaître ses origines. Il reste silencieux, baisse brièvement les yeux d'un air pensif puis dit juste à Alfred : "Ses parents... J'espère qu'il les retrouvera". Ici, les dialogues économes, le regard intense et le jeu minimaliste de Keaton font merveille : en quelques secondes, tout est dit.

AUTOBIOGRAPHIE

Double de Batman, le Pingouin, à l'instar d'Edward aux mains d'argent, rappelle également Tim Burton lui-même. "Adolescent, je me sentais incapable de toucher ou de communiquer. Je n'ai jamais été quelqu'un de très physique", raconte Burton. Les similitudes entre le cinéaste et ses personnages rejetés vont plus loin : "Jusqu'à mes 15 ans, mes dents étaient démesurées. Je ressemblais à un cheval, ce qui me rendait effroyablement triste. Mais ces dents honteuses et ma timidité maladive, m'isolant comme un forcené, m'ont transformé en ce que je suis... Un film, c'est une psychothérapie très chère que les studios ne comprennent pas toujours".



Film sincère, outré, expressionniste, Batman Returns montre déjà ce que la suite de la carrière du cinéaste ne fera que confirmer : Burton ne sait pas filmer ce qu'il ne ressent pas. "Pour créer un film", confie Burton en 1992, "je dois mettre en scène des personnages qui me touchent, qui signifient quelque chose pour moi, qui incarnent un thème. Je ne peux pas faire autrement. Je ne pense pas que ce soit mon style qui ait séduit le public du premier Batman. Je me considère comme un débutant en matière de cinéma. Je n'ai jamais étudié. Mes films ne sont qu'une représentation de l'homme que je suis". Ainsi, quand une situation l'émeut, Burton compose des scènes d'anthologie interprétées par des acteurs en état de grâce. Ce sont les yeux révulsés de Michelle Pfeiffer, pâle comme un cadavre, qui s'ouvrent soudainement (la "naissance" de Catwoman). C'est Danny De Vito qui surgit de l'eau fumante, chancelle en crachant du sang vert-noir puis tombe inanimé (la mort du Pingouin). Mais quand il s'agit de tourner une séquence d'action par exemple, les compétences de Burton ne dépassent pas celles d'un médiocre artisan (mise en scène figée, découpage limité). Burton est, en résumé, davantage illustrateur que cinéaste.

FOLIE VISUELLE



Et pour un artiste aussi graphique que Burton -dessinateur précoce, ex animateur chez Disney- les décors et costumes s'avèrent essentiels. Dans Batman Returns, ceux-ci transcrivent visuellement des thèmes et des traits des personnages. Les dirigeants de Gotham sont des bureaucrates corrompus et hypocrites, soucieux de servir leurs propres intérêts et coupés de la population ? La Gotham Plaza –le lieu central du film, où s'élèvent la Mairie et un sapin de Noël géant- s'inspirera de l'architecture stalinienne pour mieux évoquer cette idée. Le Pingouin est un freak élevé par des oiseaux, une attraction de foire qui suscite la révulsion et la fascination ? Son repaire sera un ancien zoo, grandiose et inquiétant, et ses acolytes sembleront sortis d'un cirque dément. Selina Kyle est une célibataire endurcie ? Les murs de son appartement seront d'un rose triste, délavé, et ses meubles seront garnis de peluches et objets puérils -et c'est quand Selina saccagera cette sorte de matérialisation de son univers mental qu'elle deviendra une autre femme. Quant au costume de Catwoman, assemblage irrégulier de morceaux de cuirs, il traduit la psyché fragmentée du personnage.

Fragmentée comme la nôtre ? Film ténébreux, foisonnant, irrigué par une musique aux leitmotivs inoubliables, Batman Returns parle de notre dualité à tous. Pour Burton, le message est clair : "Les tensions sous-jacentes de chaque individu doivent s'exprimer au grand jour. Et ne surtout pas être ignorées ou refoulées".

Sources des citations :
- Tim Burton par Tim Burton, de Mark Salisbury
- Mad Movies n°78
- L'Evénement du Jeudi, 10/02/00
- The Guardian du 06/01/00
- Empire n°38
- Rolling Stone n°634/635
- Entertainment Weekly, 1992

5 commentaires:

Don Diego de la Vega a dit…

Au sujet du personnage de Catwoman, on le doit en très grande partie à la réalisatrice de la série télé en question.
J'en causais il y a d'ailleurs quelques jours sur mon blog, juste ici: http://booby-lover.blogspot.com/2008/10/fathom.html

Comme quoi, hein. :)

Blog l'éponge a dit…

Héhé, c'est rigolu en effet. T'as des détails sur sa contribution au personnage ?

Don Diego de la Vega a dit…

Pas des masses non. Je sais juste qu'elle était très impliquée dans l'écriture de ses projets pour féminiser le tout.
Mais en cherchant bien, il doit sûrement exister une ou eux interviews d'elle réalisées par des fans de la série télé où elle expliquerait le truc.

Comme ça a été l'un de ses plus gros projets, ça lui a également permis d'introduire des personnages qui via d'autres décideurs n'auraient sans doute jamais vu le jour. On lui doit notamment la première apparition d'un asiatique (et donc d'un non-blanc) sur une chaîne de télé américaine dans un programme grand public (en l'occurrence Bruce Lee qui jouera quelques mois plus tard le rôle de Kato dans "Le Frelon Vert").

D'ailleurs, ces deux séries ont énormément en commun, à tous points de vue.

Anonyme a dit…

Dommage en fait que Batman Returns soit un très mauvais Batman, justement, en définitive...

Avec le recul, qu'est ce que je peux plus saquer Burton...

Blog l'éponge a dit…

Ben c'est davantage un film de Burton qu'un film de Batman en effet ^^ Mais c'est aussi tout l'intérêt du truc. Et puis un vrai film Batman, ça serait quoi pour toi ?