mercredi 30 avril 2008

JEU VIDEO : GTA IV



GTA IV est sorti hier et comme d'hab, la fenêtre blafarde qui sert d'yeux, d'oreilles voire de cerveau à une grande partie de la population française déblatère les mêmes conneries sur la violence / l'immoralité / l'obscénité de la chose pendant que les fans de jeux vidéo se mettent en colère. Oublions ces hystéries médiatiques et disons-le clairement : après une demi-douzaine d'heures de jeu, impossible de nier que GTA IV mérite son succès (les six millions d'exemplaires mis sur le marché dans le monde doivent déjà avoir disparu des rayons).

Le jeu est important à plus d'un titre. Ecrit, doublé, rythmé et mis en scène avec talent, doté d'une bande-originale très classe, immersif, foisonnant, drôle, intelligent, il élève encore les standards de narration et de fabrication en vigueur dans le jeu vidéo - à cet égard, GTA IV n'a rien à envier à un bon film.

Mais surtout, ces qualités de présentation se mettent au service de thèmes intéressants et contemporains. D'ailleurs, on n'a jamais vu un résumé de jaquette de jeu vidéo aussi politique :
"Pour Niko Bellic, fraîchement débarqué du cargo dans lequel il a quitté l’Europe, son arrivée est l’espoir d’échapper à son passé. Pour son cousin, Roman, c’est la possibilité de faire fortune ensemble à Liberté City, une ville où tout est possible.

Au fur et à mesure que leurs dettes s’accumulent et qu’ils tombent dans le milieu du crime poussé par une série d'escrocs, de voleurs et de sociopathes, ils découvrent que la réalité est bien différente du rêve dans une ville qui voue un culte à l'argent et au statut social, une ville qui se révèle être un paradis pour les uns et un cauchemar vivant pour les autres".
Une fois encore, GTA s'affirme comme une satire des valeurs américaines, ici perçues depuis le point de vue de Bellic, immigré serbe ayant connu la guerre civile en Bosnie. D'emblée, le jeu égratigne l'American Dream. Si la trajectoire psychologique du héros est peut-être trop abrupte, les émotions qu'il communique (surprenante subtilité des expressions faciales) et la richesse des thèmes abordés ne laissent pas d'étonner. Au détour d'un dialogue, les personnages parlent de la vacuité de la religion, de "cette ville qui rend les gens fous", voire de la nature humaine... (les glaçants récits de guerre de Bellic) Certains d'entre eux, comme Brucie le fan de fitness grande gueule, sont des caricatures suffisamment bien vues et nuancées pour être marrantes et efficaces.

Comme dans chaque GTA, cette satire de la société, de "la culture et du consumérisme US" (pour reprendre les mots de Lazlow Jones, co-auteur du jeu) n'innerve pas uniquement le scénario, mais tous les éléments du jeu. La ville, presque aussi vaste que New York City dont elle s'inspire fortement (1200km². Paris : 105 km²), regorge de faux panneaux publicitaires. Une pub pour une agence immobilière avec une petite baraque d'un côté ("then") et un palace d'un autre ("now") dit : "Helping you buy what you can't afford. Look rich, feel poor". Quant au Starbucks du jeu, il s'appelle "Bean Machine". Slogan : "All Beans Lovingly Picked by Children in Central America". La Statue du Bonheur, grand sourire et tasse de café à la main, remplace la Statue de la Liberté. Un réseau Internet accessible depuis un cybercafé contient plusieurs parodies de sites de rencontres ou de sites ultra conservateurs (mais ces dernières sont en général assez ratées : formules sans impact, sabots énoooooormes). On peut aussi regarder des émissions de télé fictives dans l'appart de Bellic, écouter des talks-show à la radio en voiture ou en moto...

Système, récit, monde, spectacle, GTA IV est un jeu total. Très ambitieux, il vole au-dessus des polémiques minables qu'il suscite. L'équipe de développement de Rockstar, établie à Edimbourg et à New York, visait probablement ce résultat depuis la sortie de GTA III en 2001. Enfin, ils l'ont obtenu. Et ce n'est pas un hasard : ces gens-là savent ce qu'ils font, et ils le montrent dans les rares interviews qu'ils donnent. Pour vous en convaincre, lisez donc le long entretien en deux parties que Dan Houser (co-fondateur de Rockstar et co-scénariste) a accordé à Libé. Bien qu'il semble maladroitement traduit par endroits, il est passionnant. Extraits choisis :

Beaucoup de studios parlent de la création de jeux en soulignant l’avancement parallèle du scénario et du gameplay. Comme si l’un nourrissait l’autre. C’est le cas pour vous ?
Nous essayons de faire en sorte qu’il y ait le moins de séparation possible. Il y en a parce que je suis l’un des principaux auteurs et que je suis à New York alors que les autres gars sont en Ecosse. J’ai un collègue auteur en Ecosse qui est assis à côté des designers tandis que Leslie, un des principaux producteurs, mais aussi designer, et moi travaillons ensemble. On travaille à quatre en même temps sur les mêmes sujets. Au début, une histoire est écrite, ensuite on dessine un personnage et quelques seconds rôles. Lorsque l’histoire est prête, cela forme un long synopsis de 6 ou 8 pages que l’on met entre les mains des level designers qui vont le morceler en missions. Les missions ainsi définies me reviennent. J’écris les cinématiques, puis, avec l’autre auteur, nous écrivons les dialogues et nous avons alors terminé la première partie du boulot. Ensuite, comme on a eu un peu de temps libre, on revient sur l’ensemble, en ajoutant de nouveaux dialogues jusqu’à ce que tout tourne parfaitement.

Si l’histoire ne marche pas bien, si le sens échappe au joueur, ça peut devenir compliqué tant le jeu est long et varié. On se demande tout le temps si on se rappelle bien l’histoire. On trouve des trucs, comme un coup de téléphone pour rappeler au joueur l’endroit où nous en sommes. Nous sommes conscients du fait qu’il n’y a rien de plus vrai qu’une histoire originale. Elle peut être bien racontée ou mal racontée. Notre but, c’est d’arriver à ce que l’histoire marche en permanence, quitte à utiliser des astuces de narration. Le joueur doit avoir envie de savoir ce qui s’est passé et ce qui va se passer, pour arriver jusqu’à l’étape suivante. Si on arrive à ça, alors nous avons fait du bon boulot.

L’une des forces de la série GTA repose sur le soin apporté aux personnages. Qu’aviez vous en tête au moment de créer ce héros, Niko ?
Ce qui, à mon avis, marche vraiment bien dans le jeu, et notamment dans la relation entre le joueur et le personnage qu’il interprète, c’est le fait qu’il soit nouveau en ville. Sam a eu l’idée d’un personnage d’immigrant et j’ai bondi dessus.

C’était une idée brillante, parce que cela nous donnait une large palette de thèmes... Un émigrant d’Europe de l’Est, d’où vient toute l’immigration moderne, et aussi un criminel, comme ces types qui arrivent en Amérique comme des criminels. Cela donnait quelque chose de très réaliste mais aussi de nouveau et en même temps d’une qualité classique. Un niveau classique Americana et un autre niveau très contemporain qui n’a pas été fait et refait dans cinquante films, cinquante livres ou cinquante jeux. Alors c’est vite devenu un concept et quand nous pensions à lui comme un criminel ou comme un dur à cuire qui se fout de tout peut-être, nous pensions aussi à ce qui le rendait comme cela. Eh bien une guerre peut rendre quelqu’un comme cela, je suppose, ainsi que les années d’échecs à essayer de retourner à une vie normale après la guerre.

Nous ne voulions pas donner trop de détails sur ce passé, on voulait surtout évoquer les coups qu’il a reçu... Nous n’essayons pas de porter un jugement moral sur ce dans quoi il était impliqué, juste ce qui arrive à ces gens. Ce n’est pas important de savoir si ce qu’il a fait était bien ou mal parce qu’il était trop jeune pour connaître la différence. Ici, il est âgé d’une petite trentaine d’années, déboussolé par cette expérience dix ans auparavant.

C’est une comédie mais c’est aussi comme un documentaire. Vous vous considérez comme un témoin de votre temps ?
Nous n’avons pas la prétention de figurer parmi des auteurs qui ont façonné notre manière de voir leur époque. Notre vision d’Hollywood dans les années 30 ou 40, c’est Raymond Chandler. Pareil pour l’Angleterre du XIXe avec Dickens ou pour la France de Zola. Mais des jeux comme GTA3, Vice City et surtout GTA IV... nous sommes conscients que cela fera émerger une nouvelle forme artistique, une expérience narrative en rapport avec l’époque, comme un livre.

Cette fois, nous voulions avoir quelque chose de super contemporain qui capturerait New York. Cela signifiait capturer l’esprit de la ville, et bien sûr son allure. Peut-être que les gens ne sont pas encore convaincus que le jeu vidéo est capable de ce genre de choses. Non pas que nous essayions de faire quelque chose de très sérieux mais nous avons tenté de saisir les sensations d’un endroit, les sentiments post-11 septembre, post-obsession de l’argent, de la propriété. Ces impressions du monde moderne, ce jeu peut vraiment les transmettre parce que vous êtes bombardés de manière non littérale et non linéaire. Vous voyez et entendez des tas de choses pendant que vous jouez et, si on a fait du bon boulot, tous ces thèmes et le ton général se répercutent sur vous.

Les jeux vidéo peuvent-ils, selon vous, avoir cette valeur documentaire ? Comme si on pouvait vivre les difficultés et les impasses auxquelles cet immigrant d’un pays d’Europe de l’Est est confronté quand il débarque en Amérique.
Ou comme moi. J’ai été un immigrant aux Etats-Unis mais pas dans une situation de pauvreté puisque j’arrivais avec un boulot. Nous avons voulu garder tout cela à une échelle naturaliste et mythique. Parce que sinon, cela aurait donné quelque chose du genre : « Où sont vos papiers ? », « Vous avez commis un crime vous allez être expulsés ». Mais je sentais que nous pouvions obtenir une ambiance, un sentiment que ces gens peuvent vivre quand leur choix se résume à conduire un taxi ou devenir voleur. Cela n’a rien à voir avec ce que vous vivez vous. Je ne voulais que ce soit photo réaliste, mais quelque chose de plus naturel, qui permette de mieux comprendre d’où ces gens viennent.

Que pensez vous de l’évolution de l’industrie vers le casual gaming ?
Tout cela a explosé dans les deux ou trois dernières années. Nous et Nintendo, qui est l’entreprise qui a le plus poussé vers ce marché, disons la même chose mais nous essayons de régler le problème de manière différente. Eux le font à travers des jeux très simples et très très faciles d’accès. Certains sont bons, d’autres moins, mais il y a évidemment beaucoup de potentiel. Il n’y a qu’à regarder le nombre de gens qui se passionnent pour cela. Nous essayons de dire qu’en faisant des jeux plus cinématographiques, qui ont une histoire forte, qui sont plus engagés et où le monde est plus spectaculaire, tout cela amène du monde qui préfèrera ça plutôt que d’aller au cinéma. Je pense que nous allons progresser dans une voie diamétralement opposée et que les deux vont progresser avec des formes d’expression parfaitement cohérentes pour aborder le problème.

Je trouve plutôt bizarre que d’autres entreprises —et je ne veux pas être grossier avec les autres— demandent à des célébrités de faire des jeux. Ont-ils déjà fait des jeux avant ? Je n’ai pas envie de les écouter faire un album de rap. Qu’est-ce qui les rend si sûrs d’être capable de faire un jeu ? Juste parce qu’ils sont célèbres ou brillants écrivains ou réalisateurs ou comédiens, cela ne fait d’eux des game makers.

Peut être que ces compagnies veulent des stars. Des gens que l’on reconnaisse dans la rue ?
Walt Disney n’a jamais eu besoin de stars. Il en a eu une avec Mickey Mouse. L’industrie devrait savoir que pour un consommateur, c’est mieux de ne rien savoir des acteurs, des écrivains. Même si ça s’est produit à l’époque des romantiques ou avec Van Gogh. A un moment, les gens sont devenus obsédés par la biographie : l’art et la biographie sont devenus la même chose. Je crois que c’est une force pour nous que les gens ne sachent rien ou pas grand chose sur ceux qui font les jeux. Un petit côté magique : on ne sait pas d’où ça vient, qui l’a fait. C’est pour ça qu’on préfère que les gens se concentrent sur le logo Rockstar parce que c’est un signe de qualité et de style. Pas ma stupide tronche ou celle de mon frère ou de qui que ce soit. C’est mieux ainsi. Sinon, vous êtes aspirés dans quelque chose qui n’est plus vos affaires.

jeudi 24 avril 2008

LIVRE : LA ZONE DU DEHORS

Premier roman d'Alain Damasio, dont le chef-d'oeuvre La Horde du Contrevent a déjà été évoqué ici (lisez-le bon sang !), La Zone du Dehors est un roman d'anticipation anarchiste, un pamphlet bouillonnant qui enflamme le cerveau par la puissance conjuguée de son imaginaire et de son propos. Résumé issu de l'excellent site consacré au livre :
"2084. Les normes ont succédé aux codes. Le contrôle aux contraintes disciplinaires. Le flicage démocratique de tous par tous à la police d’État. Sur un satellite de Saturne, une métropole climatisée, Cerclon, construite pour les colonies terriennes fuyant la terre, abrite une société panoptique et pacifiée, modèle envié du système solaire. Autour, la Zone du Dehors s’étend, horizon minéral brut —espace d’appel pour la Volte, groupe révolutionnaire qui prône la liberté inconditionnelle des forces de vie, la création et le combat.

Contre quoi ? Un monde dévitalisant où le Clastre dicte à chaque individu son rang dans l’échelle sociale, contre la virtue qui déréalise les tours panoptiques qui veillent, les lavements médiatiques, les technogreffes qui s’introduisent dans le corps humain… Sur Cerclon, la norme est plus puissante que la force. Le contrôle, plus étendu, plus complet et plus insidieux que ne le soupçonnait la Volte… Jusqu’où faut-il aller pour que le pouvoir révèle, sous sa chair compréhensive, que la démocratie qu’il offre est un liberticide collectif ? Jusqu’à l’intellectrocution ? Jusqu’à la Volution ?

Pour son premier roman, où se lit toute l’influence de Nietzsche, Foucault et Deleuze, ses trois maîtres à penser, Alain Damasio dresse, dans un style actif, une anticipation rigoureuse et puissante de l’avenir de nos sociétés « avancées ». Avec, en fil rouge, la terrible envie de vivre de qui résiste".
Le livre aborde un sujet central pour quiconque se dit de gauche aujourd'hui : selon les propres mots de l'auteur dans la postface, "comprendre, en Occident, à la fin du vingtième, pourquoi et comment se révolter. Le livre a cette prétention, cette fougue froide, de répondre".

Le pire, c'est que Damasio est plutôt convaincant (même si la fin précipitée nuit à la solidité de la "démonstration"). Il parvient vraiment à donner une forme, une vie, une crédibilité à la communauté alternative qu'il invente, sans contourner les innombrables problèmes qui se dressent inévitablement devant elle. Rien ici ne surprendra ceux qui se sont intéressés aux théories anarchistes ou communistes, et aux manières dont on a pu tenter, à petite échelle, de les concrétiser. Mais la prose riche et exaltée de Damasio, la force du récit et des personnages, l'originalité du contexte emportent le lecteur.

Oeuvre de jeunesse, La Zone du Dehors est certes moins bien écrit que La Horde du Contrevent. Les scènes d'amour, notamment, s'avèrent assez grotesques. Et les idées de Damasio sont communiquées de manière très nue, directe, là où dans La Horde, elles sont intégralement incarnées, transfigurées par la densité du style et de l'imaginaire. Le livre s'apparente donc régulièrement à un essai philosophico-politique, stimulant mais peut-être trop littéral. Un danger dont Damasio a pourtant bien conscience :
"Ce que j’essaie d’éviter, toujours, c’est de transformer l’Imaginaire en support symbolique. Sitôt qu’un personnage ou qu’une ville, un véhicule, un animal inventé, peuvent être lus directement comme symbole de quelque chose, ça signifie qu’ils ont perdu leur vie propre, qu’ils n’existent qu’en tant que signalétique, comme ces comédiens dont parle Novarina et qui ne sont plus que les poteaux indicateurs du metteur en scène, ici de l’écrivain.

De mon imaginaire, je demande qu’il soit vivant, à savoir irréductible à ce qu’il représente ou indique, même conceptuellement. Ne jamais illustrer un concept, mais se servir du concept comme une force qui vient hanter la forme que tu lui donnes pour se déployer. C’est une exigence cruciale"
Cette frontalité parfois maladroite se mue toutefois en qualité quand on considère la Zone comme un manifeste politique. Les longs et brillants affrontements verbaux entre le Président ("démocrate") et le héros (anarchiste) valent bien des essais sur le sujet. Les thèmes ("contrôler les corps/incorporer le contrôle" - on pense au concept d'habitus bourdieusien) sont exprimés avec une hargne salutaire. "Etre en vie, c'est être en mouvement et être lié", disait Damasio dans une interview. La Zone du Dehors incite à vivre droit, debout. Mieux : par sa fougue, il en donne l'énergie.

lundi 7 avril 2008

CINE : LE NOUVEAU PROTOCOLE



Un homme perd son fils dans un accident de voiture. Celui-ci suivait des essais thérapeutiques. A-t-il perdu le contrôle de son véhicule, victime d'une somnolence provoquée par les médicaments ? Une militante le prétend, convaincue que le laboratoire veut étouffer l'affaire comme il a occulté les raisons de la mort de son mari, lui aussi cobaye.

Le Nouveau Protocole fonctionne en tant que film de genre (thriller) et en tant que film-dossier (les méfaits de l'industrie pharmaceutique, tels que décrits dans Cobayes Humains ou L'Envers de la Pilule
). L'intérêt du film, son enjeu central, fiévreux, vient de ce que ces deux aspects se battent l'un contre l'autre. Si les personnages ont raison, il s'agit d'un film-dossier. S'ils ont tort, c'est un thriller sur des fous. Les héros voient-ils juste un complot, un scénario de film classique *, alors que se déploie autour d'eux une réalité bien plus vaste, massive et complexe ? Cherchent-ils envers et contre tout à investir d'une signification la mort impensable d'un être cher ? A comprendre, à capturer, à maîtriser la réalité en la vivant comme un complot délimité, analysable, déjouable ? Porté par une mise en scène et un rythme secs, durs, tendus, le film pousse d'autant plus à la réflexion qu'il s'avère à la fois fortement documenté et sciemment ambigu. Il ne laisse pas au spectateur le repos des réponses nettes. Il préfère le troubler et le hanter, longtemps. Propos du réalisateur :
"Généralement, à la fin des films de dénonciation, on sort tranquille. Le spectateur dit à sa femme, « Ces types sont de sacrés enfoirés, mais heureusement, toi et moi cocotte, on est du bon côté ! ». Quelle hypocrisie de laisser le spectateur partir avec ce petit quant à soi. Il ne s’agit pas d’être agressif, ou sentencieux, mais simplement d’essayer de provoquer une réflexion ou de lancer un débat, « Et alors, vous en pensez quoi de tout ça ?». L’idée n’est pas neuve, dans les années 70, bon nombre de films avaient cette même ambition. Le cinéma ne change peut-être pas le monde, mais on peut agiter la question".

"Comment être posé et rationnel si l’on veut s’opposer à l’ordre de ce monde en désordre ! Comment ne pas être radical ? On ne peut pas se mettre en opposition en menant une vie de petit bourgeois bien élevé. Les gens qui passent de l’autre côté deviennent des activistes, des résistants. Si l’on n’accepte pas que le monde demeure en l’état, ça ne peut pas s’exprimer en dehors de l’excès. Et là encore, plus que de parler de l’industrie pharmaceutique, ce film reflète un sentiment qui est partagé, il me semble. C’est le sentiment de notre impuissance en tant que citoyen. Parce que d’accord, on vit dans des démocraties, c’est super, mais quand on vote, quand on manifeste, est-ce que ça change vraiment les choses ? Est-ce que l’on corrige certaines pratiques inacceptables de l’industrie pharmaceutique lorsqu’on les dénonce ? Pas vraiment. De même, lorsqu’on dit : « La planète se réchauffe, ça va être vraiment affreux, nos petits enfants vont en crever !», on continue quand même à faire des enfants, moi le premier... Mais que faire d’autre ? Comment se battre ? Le film vient vraiment du malaise global que tout le monde ressent : comment agir quand il n’y a aucune proposition, aucune solution, aucune utopie ? Kraft est vraiment porteur de ce sentiment d’impuissance. Tout à coup, ce consensus déprimant lui devient insupportable. Il veut passer à l’action".

"Les documents rassemblés par Eric Besnard qui a longuement enquêté sur le sujet m’ont surpris par le cynisme généralisé qui est mis en oeuvre. Le film s’ouvre sur une campagne d’essais cliniques en Afrique, inspirée de celle d’un laboratoire américain au Nigéria dont l’affaire est encore en cours de jugement. Quand le personnage de William interprété par Gilles Cohen parle des essais de protocole antisida sur les prostituées au Kenya, c’est aussi une affaire réelle. On fait courir des risques à des gens qui ensuite n’auront même pas les moyens de s’acheter les médicaments dont ils sont les cobayes. Les trithérapies, c’est pour les occidentaux, mais pas pour eux. L’autre aspect intéressant et moins connu évoqué dans le film, c’est la façon dont l’industrie pharmaceutique peut créer des pathologies. Ils sont juge et partie. Tous les ans, on est captif d’un nouveau syndrome. Au travers de campagnes d’informations et de pub, on nous dit «vous avez du cholestérol, vous allez mourir». Alors tout le monde panique et veut être mis sous anti-cholestérol..."
* La dramaturgie du cinéma classique vise avant tout à l'efficacité, à l'économie de l'action. Elle ordonne et simplifie le monde de sorte que chaque action des personnages, chaque élément narratif fasse sens, possède une importance. D'ailleurs Signes, de Shyamalan, grand film sur la puissance du cinéma classique (et de la religion ?), compare le scénariste à Dieu : s'il n'y a pas de hasard, c'est qu'il existe un Grand Ecrivain. Mel Gibson retrouve la Foi (au sens large) en même temps que le spectateur, emporté par la mécanique narrative imparable du film. D'aucuns considèrent que c'est un tract pour l'Eglise. Pffff, le cinéma est une religion :p

dimanche 6 avril 2008

TELE : EL DIDOU



Diffusées au début des années 2000 sur les chaînes Game One puis Ab1, les émissions de Guillaume Lassalle -alias El Didou- figurent parmi ces trucs improbables qui peuvent encore justifier l'existence de la télévision hexagonale. Cet ex-rédacteur à Player One * a immédiatement révélé à l'antenne un charisme euh... particulier, mêlant humour absurde, désinvolture, cruauté et digressions débiles. Imaginez un type se trémoussant n'importe comment pendant qu'il pratique Doigt Doigt Revolution, parodie du célèbre jeu de danse sur tapis Dance Dance Revolution, consistant à... faire sauter ses doigts sur des flèches griffonnées sur un bout de papier. Imaginez un clip composé de plans survolant rapidement des fruits et légumes dans des corbeilles, sur fond de musique grotesque au piano. Imaginez un gars avec une perruque nulle tentant d'imiter Polnareff. Imaginez que ces séquences s'insèrent en plein milieu d'une émission censée parler de jeu vidéo. Imaginez que toutes les émissions ressemblent à ça. "En plus ça n'a aucun rapport avec le jeu vidéo, avec rien !". On n'aurait pas mieux dit. Didou, reviens.

* Premier magazine français dédié au jeu vidéo sur consoles, créé en septembre 1990, mort en janvier 2000, Player One s'est longtemps distingué par ses articles drôles et enflammés, ses rédacteurs aux personnalités marquées, sa maquette bien plus sobre que les standards de l'époque, ses couvertures signées par des dessinateurs de BD (notamment Olivier Vatine, l'auteur d'Aquablue ou de Star Wars - l'Héritier de l'Empire) ou ses scoops (interviews avec Shigeru Miyamoto -Super Mario-, David Perry -Earthworm Jim-, Jack Lang, dévoilement en exclu mondiale de la Nintendo 64...). Pour les nostalgiques ou les curieux : les archives partielles du magazine. On recommandera le fameux dossier Bomberman du n°36 et son récit enlevé d'un tournoi d'anthologie entre les rédacteurs.