jeudi 22 mars 2007

CINE : LES TEMOINS



"Le plus effroyable de tous les maux, la mort, n’est rien pour nous, puisque tant que nous vivons, la mort n’existe pas. Et lorsque la mort est là, alors, nous ne sommes plus". Ce raisonnement célèbre et implacable d'Epicure n'y change rien : j'ai peur de la mort. Et certains jours plus que d'autres. Aujourd'hui par exemple. Alors je suis allé voir Les Témoins comme on prend un médicament. Et je dis merci au Docteur Téchiné : son film, superbe, démontre la force du cinéma (et de l'art en général) lorsqu'il parvient à véritablement incarner son propos, à le faire ressentir au spectateur avec des moyens formels qui lui sont propres - en l'occurence, ceux de la narration par l'image, le mouvement et le son.

Les Témoins suit un groupe de personnages qui rencontrent un jeune éphèbe fonceur et homosexuel dans la France des années 80. Il fera partie des premières victimes du sida. Sa mort produira un électrochoc dans son entourage. Etonnamment lumineux, le film emporte le spectateur, alors que son sujet pesant aurait pu produire exactement l'effet inverse. Pour mettre en scène cette histoire qui aurait aussi bien pu s'appeler La vie est un miracle - comme le film de Kusturica -, Téchiné adopte un style d'une éblouissante pertinence : une caméra très nerveuse et fluide, une écriture dense, un montage extrêmement sec où les scènes, souvent très brèves, s'enchaînent sans jamais s'attarder sur les peines des personnages, des acteurs géniaux qui semblent courir dans le champ, une musique qui évoque davantage un thriller qu'un drame... Cette rapidité, cette énergie impressionnantes annihilent tout pathos. Pour moi, sans aucun doute le plus beau film de ce début d'année.

UNE CITATION

"Il faut avoir ce que Fassbinder décrivait en deux mots : une utopie personnelle. On ne peut pas vivre sans ça, car c'est ce qui vous fait passer tout le reste ! Comme les Grecs anciens, il faut avoir une idée esthétique de la vie. Une philosophie".

- Floc'h, écrivain et dessinateur, dans Les Inrocks n°497, juin 2005.

lundi 19 mars 2007

CINE : ANGEL



Le dernier François Ozon est une drôle d'expérience de cinéma. Parmi les films que j'ai beaucoup aimés, Angel est peut-être le seul à n'avoir suscité chez moi aucune émotion liée aux enjeux narratifs et à l'identification aux personnages. Pas un seul instant je ne me suis vraiment senti concerné par ce qui arrive au personnage d'Angel (inspiré d'une romancière réelle), une jeune et iiiinsupportable "prodige" de l'écriture qui parvient à faire éditer ses livres et rencontre un succès foudroyant dans l'Angleterre du début du XXème siècle.

Là où le film m'a sidéré, c'est par sa capacité à transcrire, à la faveur d'une mise en scène ultra cohérente, calculée et maîtrisée, la vision du monde de son héroïne qui cherche constamment à magnifier sa vie en la réécrivant. Chaque élément oscille constamment entre le premier degré absolu d'un mélodrame classique hollywoodien, et une ironie, un surjeu, une facticité extrêmes qui s'approchent de la parodie sans jamais y tomber tout à fait. Comme son héroïne, le film semble conscient de la fausseté de ce qu'il raconte, tout en y croyant totalement. Dans la scène centrale du film, exemple parfait de cet équilibre permanent et signifiant entre sublime et ridicule, Angel demande l'homme qu'elle aime en mariage : à cet exact moment, alors que l'homme paraît résister et que l'on devine clairement les enjeux les plus noirs du reste du film (incompréhension, trahison...), un orage éclate - rires dans la salle -, puis l'homme accepte la demande, la pluie cesse et un superbe plan en mouvement dessine une légère contre-plongée pour saisir le couple pendant qu'il s'embrasse devant l'arc-en-ciel qui vient de se former.

Difficile de décrire précisément le vertige et la fascination que m'a souvent procuré ce film paradoxe. Message aux amoureux de comparaisons improbables : Angel est un froid croisement entre le néoclassicisme de Titanic et la réflexivité de Metal Gear Solid 2.

IDEES : DES LEGUMES CITOYENS



J'ai enfin trouvé le moyen de me remplir la panse intelligemment en ayant le sentiment d'aider modestement la société : les Jardins de Cocagne, ou plutôt leur partenaire Les Paniers du Val de Loire. Créée en 1991, l'association Les Jardins de Cocagne emploie des personnes en difficulté d'insertion qui produisent des fruits et légumes selon les règles de l'agriculture biologique, ensuite vendus et livrés à domicile chaque semaine pour 12 euros le panier (pour 3 ou 4 personnes). Depuis, un réseau de 75 jardins s'est constitué dans toute la France.

A Paris, la seule manière de contribuer à soutenir les Jardins de Cocagne est de s'inscrire aux Paniers du Val de Loire, qui comptent parmi leurs producteurs trois jardins de Cocagne. Pour s'abonner, c'est simple : il suffit de choisir un point de dépôt, où le panier nous attendra chaque mercredi ou vendredi, et d'envoyer un chèque d'environ 80 euros, qui donne droit à une offre d'essai de six semaines suite à laquelle on peut s'engager pour l'année.

Je suis allé chercher mon premier panier mercredi dernier dans les locaux d'une asso à une dizaine de minutes à pieds de chez moi, et le misérable consommateur de fruits et légumes que j'étais vit cette expérience comme une authentique révolution culinaire. A moi les odeurs entremêlées des carottes, poireaux, oignons, radis noirs et pommes réunis dans leur grand sac en papier (dont le contenu change chaque semaine), à moi le pschiiiiit de la cocotte-minute qui tourne toute la journée, à moi l'utile petit prospectus d'informations citoyennes et de recettes joint au panier, à moi la surpuissance physique, à moi la bonne conscience ! Bref, à moins d'être un infâme individualiste contempteur des fruits et légumes, comme mon ami Darth Burger, vous n'avez aucune excuse de ne pas céder à cette façon si délicieuse de changer le monde (hem).

"HA VIVIVI, JE SUIS UN BON CITOYEN...", se dit-il en avalant un beau poireau couvert d'huile d'olive et de sel, l'air fier et l'haleine potagère.

mardi 13 mars 2007

UNE CITATION

- Jaoui : "Le fléau de la famille, comme du couple, comme de la télé...
- Bacri : ... comme de la relation humaine, c'est la familiarité !
- Jaoui : Quand tu connais quelqu'un, tu le circonscris, tu l'étiquettes.
- Bacri : Imaginons. Je vais te voir quatre - cinq fois et je vais finir par te dire "Non mais toi, forcément...". Rien que ça, c'est familier. "Non mais toi...", ça veut dire "Je sais qui tu es". La familiarité, c'est ne plus considérer, et ça guette n'importe qui. A la télévision, on ne te montre que ça, c'est une mode, une obligation pour un animateur d'être familier. La familiarité, ça réduit. "Je t'ai compris, tu me fatigues, je te connais par coeur". Avec l'habitude, on finit par ne plus voir que l'écorce de quelqu'un. Le respect, c'est une distance. Moi je mets de la distance avec les gens, mais j'en mets par amour. Et je veux qu'ils en mettent par amour pour moi. Je veux qu'ils m'écoutent. Sinon, c'est plus mes amis. Et qui dit "écoute" dit "remise en question". Tu ne peux jamais t'asseoir sur une conviction. De la même façon, tu dois t'écouter toi-même : si tu t'entends braire pour la huitième fois la même chose, tu peux soit braire une neuvième fois, soit te remettre en question. Peut-être qu'alors il n'y aura jamais de neuvième fois. Parce que tu te seras remis en question. Et tu auras changé. La pièce [Un air de famille], c'est ça".

- Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, dans le n°236 de Première - Novembre 96 (haaaa 96... Mario 64, Resident Evil, Seven, l'album Holy Land d'Angra...)