vendredi 1 mai 2009

IDEES : LE PREMIER MAI



Qui se souvient encore de la signification du Premier Mai ? Il s'agit pourtant d'une date importante pour le mouvement ouvrier, et notamment pour l'anarchisme.
Nous sommes en 1886, à Chicago. Dans cette ville, comme dans tout le pays, le mouvement ouvrier est particulièrement riche, vivant, actif. A Chicago, les anarchistes sont solidement implantés. Des quotidiens libertaires paraissent même dans les différentes langues des communautés immigrées. Cette année-là, le plus célèbre d'entre eux, le Arbeiter Zeitung, tire à plus de 25 000 exemplaires alors que le mouvement ouvrier combat pour la journée de huit heures. Les anarchistes y sont engagés (...). Le mot d'ordre de grève générale du 1er mai 1886 est abondamment suivi, tout particulièrement à Chicago.

Ce jour-là, August Spies, militant anarchiste bien connu de la Ville des Vents, est un des derniers à prendre la parole devant la foule imposante des manifestants. Au moment où ceux-ci se dispersent, la manifestation, jusque là pacifique, tourne au drame : deux cents policiers font irruption et chargent les ouvriers. Il y aura un mort et une dizaine de blessés. Spies file au Arbeiter Zeitung et rédige un appel à un rassemblement de protestation contre la violence policière. Il se tient le 4 mai, au Haymarket Square de Chicago.
Le rassemblement commence dans le calme. Mais soudain, des policiers foncent vers la foule. Une bombe est lancée sur eux, faisant un mort et des dizaines de blessés. Les policiers ouvrent alors le feu, tuant un nombre indéterminé de personnes. Huit anarchistes, dont Spies, sont jugés, alors que seuls trois d'entre eux étaient présents le 4 mai. Le procureur fait de leur procès celui de l'anarchisme :

"Il n'y a qu'un pas de la république à l'anarchie. Ces huit hommes ont été choisis parce qu'ils sont des meneurs. Ils ne sont pas plus coupables que les milliers de personnes qui les suivent. Messieurs du jury : condamnez ces hommes, faites d'eux un exemple, faites-les pendre et vous sauverez nos institutions et notre société"
Tous les accusés, sauf un, seront condamnés à mort, sans preuves, par un jury haïssant les anarchistes. L'un d'eux se suicide dans sa cellule, trois voient leur peine commuée en prison à vie et quatre sont pendus.
Ce sont eux que l'histoire évoque comme les "martyrs du Haymarket". Plus d'un demi-million de personnes se pressent à leurs funérailles. Pour ne pas oublier ce drame, le 1er mai est décrété jour de commémoration. Neebe, Schwab et Fielden seront libérés le 26 juin 1893, leur innocence étant reconnue ainsi que le fait qu'ils ont été victimes d'une campagne d'hystérie et d'un procès biaisé et partial. Ce qui reste clair cependant, ce sont les intentions de ceux qui condamnèrent les martyrs de Chicago : briser le mouvement ouvrier et tuer le mouvement anarchiste aux Etats-Unis.
(les citations sont extraites de l'Ordre moins le pouvoir, de Normand Baillargeon. Cet excellent petit livre sur l'anarchisme, extrêmement clair et synthétique, en détaille les racines, les figures principales, les événements historiques, les positions -économie, syndicalisme, écologie, éducation, médias, éthique, féminisme-, et comprend une abondante bibliographie)

MUSIQUE : BRIC A BRAC


Le rock-world-pop-folk psychédélique, inclassable, foisonnant et très riche en textures d'Animal Collective ; le piano et les cordes omniprésentes d'Antony and the Johnsons, supergroupe mené par un chanteur à la tessiture incroyable ; l'electro-rock doux-amer et feutré du duo Metal Hearts ; la musique agressive, polyrythmique, étrange et avant-gardiste de Meshuggah : nouvelle compilation 100% spongieuse, à déguster sur place ou à emporter.

ANIMAL COLLECTIVE
> Fireworks

> Did You See the Word

> My Girls

> Also Frightened

> The Purple Bottle

> Tikwid

> Grass


ANTONY AND THE JOHNSONS
> My Lady Story

> Man is the Baby

> Twilight


METAL HEARTS
> Disappeared

> Midnight's Sun

> Socialize

> Ocean Song


MESHUGGAH
> In Death - Is Life

> In Death - Is Death

lundi 30 mars 2009

JEU VIDEO : LE GUIDE "METIERS ET CREATEURS DU JEU VIDEO"

Enfin. Après plusieurs mois de travail, et en attendant une deuxième édition qui sera plus riche en contenu, le guide "Métiers et créateurs du jeu vidéo", dont je suis le co-auteur, est disponible sur notre site et sur celui de la Fnac. En exclusivité, voici un extrait de l'interview de Warren Spector (producteur d'Ultima Underworld, Thief, Deus Ex...) incluse dans le guide :
Vous avez étudié les théories et l’histoire du cinéma. Voyez-vous des parallèles entre l’histoire du cinéma et celle du jeu vidéo ?
Je pense que la structure de notre industrie est effectivement comparable à celle du cinéma dans les années 1920 à 1940. Il y avait une poignée de cinéastes indépendants à l’époque, tout comme il y a une poignée de créateurs de jeux indépendants. Il y avait un mouvement expérimental marginalisé et pas très influent, et c’est le cas des jeux indépendants aujourd’hui.La plupart des films étaient fabriqués par des employés à plein temps, présents à tous les niveaux de la hiérarchie et dans toutes les disciplines : ce modèle de création en interne domine également l’industrie moderne du jeu vidéo.

Les jeux vidéo se situent-ils à l’âge d’or des studios ?
C’est un autre débat : laissons ça aux historiens. Pour l’essentiel, j’espère que nous continuerons à suivre les traces de l’industrie du cinéma. Je souhaite voir les éditeurs fonctionner comme des distributeurs – et, dans certains cas, comme des sources de financement – pour des créateurs largement indépendants. Mais je pense que cela n’arrivera pas avant plusieurs années. Il y a surtout un point sur lequel j’aimerais voir le jeu vidéo se rapprocher du modèle classique d’Hollywood : à l’époque, la diversité des sujets, des genres et des styles était gigantesque et il y avait des tonnes de scénaristes, réalisateurs, chefs-opérateurs... très singuliers. Je ne vois pas cette variété dans les jeux d’aujourd’hui.
Profitant d'un léger moment de répit, j'ai également consacré un long papier à Mother 3, publié dernièrement sur Chronic'art.com. "Tant qu'existeront des titres comme celui-là, les jeux vidéo ne seront jamais tout à fait une perte de temps"... Mother 3 mérite votre attention. Jouez-y ! (instructions à la fin de ce billet)

jeudi 26 février 2009

LIVRE : LA ROUTE



Un homme, un enfant, un caddie et une Amérique cendreuse : La Route (The Road en VO) est un roman post-apocalyptique aussi court que dépouillé. Les phrases et paragraphes brefs et elliptiques, l'intrigue se concentrant sur la survie des personnages au quotidien (trouver de la nourriture, un refuge, un chemin), l'absence d'explication donnée à la fin du monde, le style minimaliste permettent aux souvenirs et à l'imagination du lecteur de s'engouffrer dans le récit et installent un rythme singulier. Par contraste avec la sobriété globale de l'écriture, chaque jaillissement d'horreur ou de poésie, chaque métaphore ou flashback, chaque scène d'action acquièrent une puissance dévastatrice.

La Route sera adapté au cinéma cette année, avec Viggo Mortensen dans le rôle principal. On peut s'interroger sur l'intérêt créatif de la démarche : la beauté, l'originalité et la force du livre doivent tout à l'écriture très particulière de Cormac McCarthy -écrivain très populaire aux Etats-Unis, auteur du livre dont est tiré No Country for Old Men et récompensé du prix Pulitzer pour La Route.

Dans tous les cas, amis spongieux, lisez ce roman maintenant, avant que le film n'en pollue votre représentation mentale. Ce grand bouquin a déjà influencé les auteurs de Fallout 3 et Terminator : Salvation. Evocateur et bouleversant, il nous rappelle que ni les hommes, ni la société ne sont éternels. En ces temps incertains, on peut y trouver une énergie supplémentaire pour se dépêcher de vivre et d'agir.

lundi 16 février 2009

JEU VIDEO : FLOWER


(making-of à regarder de préférence après avoir terminé le jeu)

A la fin du film Princesse Mononoké*, une vague de végétation luxuriante provoquée par la mort du Dieu-Cerf s'abat sur le monde et le recouvre à toute vitesse. Imaginez maintenant que vous êtes cette vague. D'abord simple pétale porté par le vent, vous devenez comète à mesure que des fleurs se greffent à vous. Sur votre chemin, le monde se régénère, l'herbe renaît, se courbe et bruisse, les couleurs se ravivent et la nature se venge de la civilisation. C'est cette expérience unique que procure Flower, "poème vidéoludique" muet aussi court que flamboyant, disponible depuis peu sur la boutique en ligne de la PlayStation 3.

D'une qualité de finition impressionnante, Flower conjugue l'esprit d'un jeu vidéo indépendant avec les moyens importants d'une production interne de Sony. A l'instar d'Okami, il valorise l'action la plus banale que peut proposer un jeu vidéo -traverser un univers- à la faveur d'effets visuels et sonores enchanteurs. Plus généralement, il adapte ses mécanismes aux émotions sereines qu'il souhaite susciter : aucun game over, un challenge presque absent, un système de contrôle très simple et intuitif (l'agrégat de pétales se dirige en inclinant la manette et en pressant n'importe quel bouton pour accélérer). Pour autant, il s'agit d'un vrai jeu : plus l'on maîtrise son avatar, plus les parties gagnent en fluidité et grisent les sens jusqu'à générer un sentiment d'euphorie d'une intensité rare.

En dire davantage sur ce micro chef-d'oeuvre de deux heures, moelleux et épuré, serait criminel. Destiné aux amoureux du jeu vidéo "moderne" (c'est-à-dire guidé par l'émotion, le sens, l'histoire à transmettre) mais pas seulement, Flower est la plus belle surprise de ce début d'année.

*
Sommet du cinéma épique et meilleur film de Miyazaki avec Mon Voisin Totoro, comme le savent déjà nos amis spongieux ^^

CINE : BURN AFTER READING



Deux employés d'un club de remise en forme (Frances McDormand, Brad Pitt) trouvent par hasard des documents appartenant à un ex agent de la CIA (John Malkovich). Ils décident de le faire chanter en lui échangeant contre une rançon... Après No Country for Old Men, les frères Coen reviennent avec un film en apparence plus léger mais peut-être bien plus désespéré. Volontairement surjoués, tous les personnages se révèlent stupides ou d'un cynisme ahurissant (les agents de la CIA). Le film se moque de la gueule de tout le monde, mais la plupart des protagonistes possèdent suffisamment de motivations pour susciter l'empathie. On a même régulièrement envie de pleurer avec eux, de plaindre leur peur de vieillir, leur besoin de reconnaissance ou leur incapacité à exprimer ce qu'ils ressentent.

Plutôt cérébral, l'humour de Burn after Reading ne procède pas tant par gros gags que par accumulation : c'est surtout dans la deuxième moitié du film qu'on se décroche la mâchoire, quand les événements prennent des proportions grotesques, quand les trajectoires des personnages finissent par s'entrechoquer pour aboutir à d'énormes quiproquos aux conséquences terribles (l'hilarante scène de la hâche). De ce point de vue, le scénario adopte une structure proche d'un épisode de Seinfeld. Sauf qu'ici, on rit jaune : Burn after Reading est une tragicomédie sur l'"idiotie de l'époque", comme le dit Malkovich dans un dialogue mémorable.

mercredi 24 décembre 2008

LES EPONGES D'OR 2008



EPONGE D'OR JEU VIDEO : MOTHER 3, UN RPG DE GAUCHE FOUFOU SUR GAME BOY ADVANCE


Eh oui, le meilleur jeu de 2008 date de 2006, ne paie pas de mine et concerne une console portable sortie en 2001 ! Disponible uniquement en version japonaise jusqu'à présent, Mother 3 vient enfin d'être traduit en anglais par une talentueuse équipe de fans (lire cette interview de l'un d'entre eux)*. Il était temps : c'est un chef-d'oeuvre du jeu de rôle, un sommet du jeu vidéo narratif, et sans doute le titre le plus significatif édité par Nintendo depuis The Legend of Zelda : Majora's Mask.

Mother 3, c'est une histoire tragique et extravagante, individuelle et collective, grave et hilarante, épique et familiale, poétique et politique, chorale et déployée dans le temps. C'est un tempo, une variété, une inventivité irrésistibles. C'est un système de combat et d'inventaire impeccablement équilibré, qui évite les traditionnels affrontements aléatoires et ne manque pas de subtilité. C'est une bande-son entêtante et éclectique qui compte pas moins de 200 morceaux (!), dont un thème principal aux déclinaisons bouleversantes. C'est une oeuvre d'auteur où les mécanismes de jeu eux-mêmes expriment parfois des émotions et des idées. C'est un graphisme 2D d'une beauté rare : les détails soigneusement choisis, l'invraisemblable naturel des animations, l'intelligence de la mise en scène (au sens théâtral et cinématographique) construisent un monde palpable, chargé d'histoire et de sens.

Mother 3, c'est surtout une justesse impressionnante, des dialogues capables de nouer l'estomac, des thèmes sérieux évoqués de manière simple, forte et souvent visuelle (les conséquences de l'apparition de l'argent, l'acceptation de la mort -la sienne et celle des autres...). Mother 3, c'est un grand RPG de gauche (son créateur, Shigesato Itoi, est un ancien militant marxiste-léniniste), humain, délirant, foisonnant. Vingt-cinq heures plus indispensables que tous les jeux haute-définition à 70€ commercialisés cette année.

* Pour jouer à Mother 3, utilisez cet émulateur, ce patch de traduction et une copie du jeu, facile à trouver sur le Net. Bien sûr, vous devez posséder la cartouche originale, sinon il s'agit de piratage.




EPONGE D'OR SERIE : THE WIRE, UNE GRANDE FICTION POLICIERE ET SOCIALE

Unanimement saluée par la critique comme l'une des plus ambitieuses séries jamais tournées, The Wire se situe dans la grande ville américaine de Baltimore, dont elle analyse les rouages sociaux et politiques. Chacune des cinq saisons montre un aspect de la ville (le trafic de drogue, le port, la bureaucratie, le système scolaire, les journaux) et prend la forme d'une dizaine d'épisodes d'une heure. La série octroie une importance égale à tous les points de vue : dans la première saison par exemple, la caméra suit autant l'enquête policière que le quotidien des dealers.

Une anecdote permet de mesurer le degré de documentation et de connaissance du terrain sur lequel s'appuie la série. Les flics ou dealers qui croisent les acteurs leur disent systématiquement : "Vous êtes les premiers à montrer comment ça se passe vraiment. Tous les personnages, on les connaît". Pas étonnant : le créateur de The Wire, David Simon, est un ex journaliste spécialiste des affaires criminelles. Quant à Ed Burns, l'un des scénaristes et producteurs, il s'agit d'un ancien flic et professeur.

A la fois extrêmement accrocheuse, réaliste et humaniste, The Wire, contrairement à la majorité des fictions policières, s'affiche clairement à gauche (décidément) : elle s'intéresse d'abord à l'influence des institutions, du milieu social ou de la famille sur les individus et décrit des personnages tout en nuances, qu'ils soient flics ou voyous.

Un coffret contenant l'intégrale de la série vient de sortir en Angleterre (DVD Zone 2) et aux Etats-Unis (Zone 1) : l'occasion de découvrir ce monument, qualifié de "meilleur show télé de tous les temps" par Alan Moore (l'immense auteur de Watchmen et From Hell) et Barack Obama lui-même... La politique du nouveau président s'attaquera-t-elle aux désastres sociaux dont témoigne la série ? On peut en douter. Mais il ne pourra pas dire qu'il ne savait pas. Vous non plus.




EPONGES D'OR CINEMA, EX AEQUO : A BORD DU DARJEELING LIMITED, NO COUNTRY FOR OLD MEN, HELLBOY II

Vous savez déjà tout le bien que pense l'Eponge du plus beau Wes Anderson, du plus grand Coen Bros. et du plus généreux Del Toro : inutile d'en ajouter.




EPONGE D'OR MUSIQUE : DEERHOOF, OFFEND MAGGIE

A la fois pop et torturé, accrocheur et avant-gardiste, Offend Maggie synthétise la musique de Deerhoof et constitue, avec The Runners Four, le meilleur album de ces gentils maboules. Deerhoof, quoi qu'où qu'est-ce ? Des mélodies douces ou dissonantes, des rythmiques, arrangements et constructions souvent singuliers, une chanteuse jap à la voix enfantine... Hop, p'tite compil maison pour nos amis spongieux. Les plus pressés (ou paresseux, ou dubitatifs) peuvent écouter les morceaux ci-dessous :

> Wrong Time Capsule

> Lemon & Little Lemon

> Eaguru Guru

> Chandelier Searlight

> The Galaxist

> Milk Man

> Choco Fight

> Desaparecere

> My Purple Past

mercredi 10 décembre 2008

CINE : TERMINATOR : SALVATION



Après un teaser diffusé en juillet dernier, la première bande-annonce de Terminator : Salvation vient enfin d'être dévoilée il y a quelques heures. Le film se déroule entièrement après le fameux Jugement Dernier et raconte les premières années de la guerre contre les machines, avant la conception du T-800 (le modèle incarné par Schwarzenegger dans les trois premiers films).

La bande-annonce montre une partie des éléments que greffe le film à la mythologie Terminator : Marcus Wright, un mystérieux personnage amnésique dont le dernier souvenir est sa condamnation à mort (et que Connor soupçonne d'être un T-800, d'après le trailer) ; le T-600, plus imposant et lent que le T-800 et pourvu d'une mitrailleuse lourde ; des motos Terminators ; des camps de prisonniers que Skynet utilise pour étudier les humains ; et surtout un Terminator géant d'une quinzaine de mètres qu'on croirait sorti d'un dessin animé japonais !

McG, connu pour... Charlie et ses drôles de dames, réalise le film. Difficile, dès lors, de ne pas douter du projet... sauf que le bonhomme semble sincèrement passionné par son sujet, et assisté par des collaborateurs de premier ordre : le légendaire Stan Winston a travaillé sur le design et les effets spéciaux des créatures avant de mourir, Conrad Buff (Terminator 2, yeah !) se charge du montage, et le charismatique Christian Bale incarne John Connor.

McG affirme avoir privilégié l'histoire et les personnages, et perfectionné quotidiennement le scénario avec Bale lors du tournage. Il souhaite créer un long-métrage d'"une grande ampleur mais possédant les nuances et le sous-texte d'un film indépendant de haute qualité"... Ce qui constitue une manière compliquée de dire qu'il s'agira d'un bon film, fidèle aux qualités des précédents. Rappelons en effet que des thèmes puissants (libre-arbitre, auto-destruction de l'humanité, holocauste nucléaire...) ont toujours innervé la saga et que les trois premiers Terminator sont des films indépendants (on pourrait ajouter que l'étiquette "indépendant" a perdu de son sens depuis que les majors ont établi leurs propres filiales pseudo-"indépendantes", mais passons).

En tout cas, la bande-annonce suggère une mise en scène assurée, ne cédant pas au surdécoupage et aux effets "capturé sur le vif" exagérés qui affligent certains blockbusters hollywoodiens : plans assez longs, caméra mobile sans être perpétuellement tremblotante... Espérons toutefois que le classement PG-13 que vise le film ne nuise pas à sa rugosité, les précédents Terminator étant classés R. McG défend ce choix en citant Batman Begins, un autre PG-13 filmé selon lui "sans compromis" (un argument valable) et prétend que le film "passe en premier" et sera "protégé à chaque instant".

En attendant la sortie française de Terminator : Salvation en juin 2009, nous patienterons grâce à la série The Sarah Connor Chronicles, qui a dépassé nos plus fous espoirs spongieux. Tous les thèmes pressentis dès le pilote (notamment le processus d'apprentissage des machines au contact des humains) s'avèrent exploités avec une intelligence épatante.

Les pistes et enjeux se multiplient, les personnages se révèlent bien plus complexes qu'il n'y paraît, les dialogues sont tranchants, les scénaristes savent manifestement où ils vont (selon l'acteur principal, ils ont déjà défini l'intrigue globale des cinq premières saisons !) et, fait trop rare dans une série télé, la mise en scène offre parfois de vraies idées de cinéma (un long plan filmé depuis le fond d'une piscine où un Terminator jette un à un les corps des policiers qui l'attaquent). Evidemment, des scènes ou épisodes faibles voire ridicules subsistent, mais le niveau de qualité global surprend.

Malheureusement, les chiffres d'audience décevants risquent d'entraîner l'annulation du show après la fin de la seconde saison, actuellement diffusée aux Etats-Unis et téléchargeable en VO sous-titrée en français aux adresses habituelles. Quoi qu'il en soit, aucun amateur de Terminator digne de ce nom ne peut snober cette série remarquable.

dimanche 26 octobre 2008

CINE : BATMAN RETURNS


On le sait, Tim Burton n'est pas satisfait du premier Batman. Bridé par le script sans relief de Sam Hamm, par les responsables du studio Warner et par son manque d'expérience (il s'agit de sa première superproduction), Burton livre une oeuvre qui lui ressemble peu. "J'aime certaines parties, mais le film était un peu ennuyeux par moments. J'ai commis l'erreur de laisser l'histoire à l'abandon", reconnaît-il. Peu emballé à l'idée d'en tourner une suite, Burton cède finalement aux pressions de la Warner. A une condition : une liberté artistique totale. Un premier script fade écrit par Sam Hamm passe donc à la trappe (heureusement : le Pingouin et Catwoman y... cherchaient un trésor !). Lui succède un scénario signé Daniel Waters (Heathers) où l'entrepreneur véreux Max Shreck (Christopher Walken) soutient la candidature du Pingouin (Danny DeVito) à la Mairie de Gotham City. "Je voulais montrer que les vrais méchants de notre monde ne portent pas nécessairement de costumes", souligne Waters.

GIRL POWER

Batman Returns se concentre sur les adversaires de Batman (Michael Keaton), aussi tourmentés et schizophrènes que le Chevalier Noir lui-même. Waters et Burton réécrivent d'abord le rôle de Selina Kyle / Catwoman (Michelle Pfeiffer). Ils en font un magnifique personnage-somme, tour à tour victime, héroïne, prétendante, ennemie ou alliée pour Batman. "J'avais huit ans à l'époque de la série télé, et Catwoman brisait beaucoup de tabous sociaux", ajoute Pfeiffer. "Les petites filles étaient élevées pour être mignonnes, polies, pas pour incarner des personnages aussi physiques voire agressifs. Vous ne savez jamais si Catwoman est séductrice ou maléfique. Cette ambiguïté me fascine".

DOUBLES

Waters et Burton réinventent surtout le personnage du Pingouin. Présenté comme un simple voleur aux manières d'aristocrate dans la BD, il est ici une créature difforme, mi-humaine mi-animale, abandonnée par ses parents fortunés mais avide de reconnaissance sociale. Le film va jusqu'à le décrire comme une sorte de pendant monstrueux du milliardaire Bruce Wayne / Batman. "Si ses parents ne l'avaient pas jeté dans les égouts vous auriez pu être copains de promo", lance même Shreck à Wayne, lui aussi orphelin. Une autre scène illustre cette proximité entre Bruce et son ennemi. A la télévision, Wayne voit le Pingouin expliquer son désir de connaître ses origines. Il reste silencieux, baisse brièvement les yeux d'un air pensif puis dit juste à Alfred : "Ses parents... J'espère qu'il les retrouvera". Ici, les dialogues économes, le regard intense et le jeu minimaliste de Keaton font merveille : en quelques secondes, tout est dit.

AUTOBIOGRAPHIE

Double de Batman, le Pingouin, à l'instar d'Edward aux mains d'argent, rappelle également Tim Burton lui-même. "Adolescent, je me sentais incapable de toucher ou de communiquer. Je n'ai jamais été quelqu'un de très physique", raconte Burton. Les similitudes entre le cinéaste et ses personnages rejetés vont plus loin : "Jusqu'à mes 15 ans, mes dents étaient démesurées. Je ressemblais à un cheval, ce qui me rendait effroyablement triste. Mais ces dents honteuses et ma timidité maladive, m'isolant comme un forcené, m'ont transformé en ce que je suis... Un film, c'est une psychothérapie très chère que les studios ne comprennent pas toujours".



Film sincère, outré, expressionniste, Batman Returns montre déjà ce que la suite de la carrière du cinéaste ne fera que confirmer : Burton ne sait pas filmer ce qu'il ne ressent pas. "Pour créer un film", confie Burton en 1992, "je dois mettre en scène des personnages qui me touchent, qui signifient quelque chose pour moi, qui incarnent un thème. Je ne peux pas faire autrement. Je ne pense pas que ce soit mon style qui ait séduit le public du premier Batman. Je me considère comme un débutant en matière de cinéma. Je n'ai jamais étudié. Mes films ne sont qu'une représentation de l'homme que je suis". Ainsi, quand une situation l'émeut, Burton compose des scènes d'anthologie interprétées par des acteurs en état de grâce. Ce sont les yeux révulsés de Michelle Pfeiffer, pâle comme un cadavre, qui s'ouvrent soudainement (la "naissance" de Catwoman). C'est Danny De Vito qui surgit de l'eau fumante, chancelle en crachant du sang vert-noir puis tombe inanimé (la mort du Pingouin). Mais quand il s'agit de tourner une séquence d'action par exemple, les compétences de Burton ne dépassent pas celles d'un médiocre artisan (mise en scène figée, découpage limité). Burton est, en résumé, davantage illustrateur que cinéaste.

FOLIE VISUELLE



Et pour un artiste aussi graphique que Burton -dessinateur précoce, ex animateur chez Disney- les décors et costumes s'avèrent essentiels. Dans Batman Returns, ceux-ci transcrivent visuellement des thèmes et des traits des personnages. Les dirigeants de Gotham sont des bureaucrates corrompus et hypocrites, soucieux de servir leurs propres intérêts et coupés de la population ? La Gotham Plaza –le lieu central du film, où s'élèvent la Mairie et un sapin de Noël géant- s'inspirera de l'architecture stalinienne pour mieux évoquer cette idée. Le Pingouin est un freak élevé par des oiseaux, une attraction de foire qui suscite la révulsion et la fascination ? Son repaire sera un ancien zoo, grandiose et inquiétant, et ses acolytes sembleront sortis d'un cirque dément. Selina Kyle est une célibataire endurcie ? Les murs de son appartement seront d'un rose triste, délavé, et ses meubles seront garnis de peluches et objets puérils -et c'est quand Selina saccagera cette sorte de matérialisation de son univers mental qu'elle deviendra une autre femme. Quant au costume de Catwoman, assemblage irrégulier de morceaux de cuirs, il traduit la psyché fragmentée du personnage.

Fragmentée comme la nôtre ? Film ténébreux, foisonnant, irrigué par une musique aux leitmotivs inoubliables, Batman Returns parle de notre dualité à tous. Pour Burton, le message est clair : "Les tensions sous-jacentes de chaque individu doivent s'exprimer au grand jour. Et ne surtout pas être ignorées ou refoulées".

Sources des citations :
- Tim Burton par Tim Burton, de Mark Salisbury
- Mad Movies n°78
- L'Evénement du Jeudi, 10/02/00
- The Guardian du 06/01/00
- Empire n°38
- Rolling Stone n°634/635
- Entertainment Weekly, 1992

samedi 4 octobre 2008

UNE CITATION

"Le pessimiste se condamne à être spectateur" - Goethe

samedi 13 septembre 2008

MEME PO MORT



"The reports of my death are greatly exagerated", plaisantait Mark Twain alors que sa nécrologie venait d'être publiée par erreur par le New York Journal (Steve Jobs a récemment repris la phrase). Ce p'tit message, donc, pour rassurer mes amis aquatiques : ce blog n'est pas mort, juste temporairement ralenti. Un trou noir de boulot m'aspire en effet irrésistiblement depuis août, et il ne se refermera pas avant janvier...

Bref, je vous aurais bien parlé longuement de L'institution imaginaire de la société de Castoriadis, critique serrée, érudite, imparable mais bienveillante (l'auteur étant lui-même un authentique révolutionnaire) des théories marxistes, "au carrefour de la politique, de la philosophie, de la psychanalyse et de la réflexion sur la science"...

J'aurais aussi pu vous parler de The Dark Knight : un chef-d'oeuvre d'une heure, chaotique et funèbre, noyé entre une installation nulle, un climax plat et une conclusion idéologiquement douteuse (si seulement Michael Mann l'avait réalisé...).

J'aurais pu expliquer mon admiration pour Braid, jeu de plateforme mélancolique fondé sur la manipulation du temps, casse-tête aux énigmes si inventives, variées et intelligentes qu'elles rivalisent avec les meilleurs titres de Nintendo, puzzle textuel et visuel polysémique aux innombrables métaphores (et BO mémorable : écoutez Long past gone, violoncelle obsédant et piano épars)...

J'aurais pu vous raconter pourquoi les énergies cumulées de The New Pornographers (power pop, morceau choisi), The Shins (rock - country - folk, chanson approuvée) ou Louis XIV (rock dansant, tube absolu) m'ont évité de ressembler au Chevalier Noir de Sacré Graal (voir vidéo)...

J'aurais pu conclure en dispersant quelques liens vers des articles maison : une longue interview du game designer Hideo Kojima, auteur mégalo de Metal Gear Solid, un papier sur le nouveau Tomb Raider en direct de San Francisco, quelques extraits de la rubrique "courrier des lecteurs" dont je m'occupe désormais mensuellement pour JeuxVidéo Magazine (on y parle de grands sujets comme le cinéma, le sexe, la Der des Ders, WoW, GTAIV ou les filles... hop, hop et hop), ou une actualisation du texte Pourquoi l'animation a déjà révolutionné le cinéma, analysant la méthode de performance capture...

Mais comme je suis un gros glandu vous aurez juste un post de merde et c'est bien fait.

vendredi 8 août 2008

IN BED WITH BILAL, AMANO AND ANCEL



Mars 2008. A l'occasion du Forum International Cinéma et Littérature de Monaco, mon ami William et moi interrogeons trois grands créateurs, réunis pour une interview croisée : Enki Bilal, dessinateur et réalisateur (La trilogie Nikopol), Yoshitaka Amano, illustrateur, peintre et créateur d'univers (Tenshi no Tamago, Final Fantasy) et Michel Ancel, game designer (Rayman, Beyond Good and Evil, King Kong). La barrière de la langue met malheureusement Amano à l'écart mais cette heure de conversation s'avère très intéressante, une occasion unique d'entendre discuter entre eux des gens qui ne se rencontrent jamais (et de prendre une photo inattendue des trois compères après que Bilal se fut jeté spontanément sur le lit ^^). Au passage, Ancel nous donne un scoop : l'annonce de Beyond Good and Evil 2, très vite reprise partout sur le Net. La taille relativement modeste (3,5 pages) de l'article final nous contraindra à couper environ les 3/4 de l'interview, à l'origine publiée dans Jeux Vidéo Magazine et désormais lisible ici en version intégrale, vivivi !



Quant à Monaco... résumons : comment concentrer un maximum de riches en un minimum de place ? En les entassant à la verticale dans des buildings. Résultat : une ville confite et morne où je n'ai croisé que deux trucs un peu hum... "vivants" : une Fnac et une boulangerie. Ouééééé la fêêêête \o/ Ha si, parlons de la soirée de clôture, sympa car complètement improbable : voir Ancel et Amano danser devant un orchestre de jazz tandis que de l'autre côté, PPDA et Zoé Félix se font la bise à quelques tables du grand Alan Parker, ben euh... ça donne ça. Totalement futile mais rigolo.

mercredi 30 juillet 2008

CINE : BRIC A BRAC

Ces derniers mois, mes yeux spongieux ont absorbé une pléthore de films intéressants... On se rattrape dans un billet-compil (et encore, il en manque).

La personne aux deux personnes, premier long-métrage des deux auteurs de l'émission culte Message à caractère informatif (vidéos ici, ne loupez surtout pas celle-là et celle-là), est l'échec commercial le plus immérité de l'année. Il s'agit d'une sorte de version française du conceptuel et zarbi Dans la peau de John Malkovich, où un marionnettiste découvrait une porte donnant accès à... l'esprit de John Malkovich. Ici, c'est l'esprit de Gilles Gabriel, chanteur ringard des années 80 (Chabat) qui se retrouve enfermé dans la tête d'un pov salarié encore plus ringard (Auteuil) après un accident de voiture. Ainsi accompagné, Auteuil va bouleverser ses habitudes...

Mis en scène de manière très soignée (beaucoup d'idées et gags visuels, des cadres très ordonnés qui illustrent le quotidien gris et millimétré d'Auteuil...), le film exploite brillamment son pitch dans un contexte satirique, celui de la COGIP (Consortium Organisationnel de Gestion Institutionnelle et Patrimoniale). Le film associe une esthétique seventies morne (très proche des films d'entreprise de Message à caractère informatif) à un vocabulaire corporate grotesque et très contemporain.

Auteuil est violemment bon : présent dans chaque plan, il tient le film entier sur ses épaules, discutant à voix haute avec Chabat du début à la fin (pendant le tournage, Chabat, isolé dans une tente insonorisée, donnait la réplique à Auteuil avec un système d'oreillettes et de micros). Sa performance géniale rend crédibles, touchantes et à crever de rire les scènes les plus improbables sur le papier (et le film n'en manque pas). Malgré une importante et astucieuse campagne de promo (faux clip de Gilles Gabriel, faux site de la COGIP...), le film s'est vautré, dépassant péniblement les 200.000 entrées. Enfer !



Valse avec Bachir évoque le massacre de Sabra et Chatila. Sa structure narrative fragmentée voit le narrateur, double du cinéaste, recouvrer peu à peu la mémoire des événements, auquel il a assisté lorsqu'il était soldat israélien mais dont il n'a plus aucun souvenir. Film d'animation hybride, Valse avec Bachir mêle autobiographie (scènes et détails inspirés de l'expérience du réalisateur), fiction (l'intrigue générale), témoignages (entretiens édifiants avec un journaliste, des soldats, des civils), expressionnisme (le rêve d'ouverture fantastique et symbolique où des chiens monstrueux traversent la ville jusqu'à l'appartement d'un personnage)... Choc esthétique, puissante introspection psychanalytique et onirique, documentaire glaçant, Valse avec Bachir déglorifie la guerre ("Il n'y a aucun courage, aucune virilité, aucune amitié à défendre là", affirme le réalisateur). Et met à la portée d'un large public un sujet important. L'un des films essentiels du début d'année.



Wanted, maintenant. Tout le monde le dit et c'est vrai : Wanted = Matrix + Fight Club en version ultra vulgaire, fendarde mais finalement pas bête. Le thème, déjà clairement indiqué par le slogan de l'affiche ("Choisis ton destin"), est en effet aussi explicite que la réplique et le regard caméra lancés au spectateur par le héros à la toute fin du film. Il peut se résumer ainsi : "Hey toi, la larve immobile au fond de ton siège qui vit mon aventure par procuration, qu'as-tu fait récemment pour prendre ta vie en mains ?".

En cela, et parce que le parcours initiatique du héros, raconté en voix off, est comparable à celui d'Edward Norton, Wanted rappelle Fight Club ("Hey toi l'employé modèle avec appart Ikéa, quitte cette merde matérialiste et vis vraiment") mais aussi Collateral ("Hey toi le chauffeur de taxi, arrête de te trouver des excuses bidons pour repousser la réalisation de tes rêves et vas-y maintenant") ou évidemment l'historique série d'animation jap Evangelion ("Hey toi l'otaku, arrête de passer tes journées à analyser des scénarii pseudo-ésotériques à la con, cesse de te complaire dans ta position en pleurnichant et sors de chez toi"). Bref, Wanted, c'est à la fois stupide, laid, drôle, ironique, sérieux, dramatique, over-the-top, et pas idiot. Et il y a des balles dont la trajectoire se tord, des voitures qui font des sauts super stylés et une pour une fois très jolie Angelina.



Bottle Rocket est le premier film de Wes Anderson (Rushmore, A bord du Darjeeling Limited). On y trouve déjà ce regard décalé sur la vie : celui de grands Peter Pan tristounets qui refusent de grandir et jouent à "faire comme si" pour réenchanter le monde et se soustraire à ses contraintes. Sauf que le monde, bien sûr, les saisit tôt ou tard avec ses gros bras velus et leur colle la tronche sous ses aisselles pour leur montrer à quel point il est michant.

Ici, le personnage vaguement neuneu d'Owen Wilson cherche à entraîner son entourage dans des pseudo-opérations criminelles. Celles-ci détournent les conventions du film de genre avec une fraîcheur et un ridicule enfantins (on retrouvera régulièrement cette idée chez le cinéaste, notamment dans les scènes de vengeance de Rushmore ou la fusillade débilissime de la Vie Aquatique). On quitte Bottle Rocket dans cet état paradoxal de méga pêche mélancolique, typiquement andersonien. Tout est possible, même pour ses personnages dépressifs et inadaptés. Ha ben ça rassure, merci.



L'Incroyable Hulk est une bonne surprise. Largement réécrit par l'excellent Edward Norton qui en endosse le rôle principal, le film commence par un générique foudroyant qui résume les origines du personnage en quelques minutes. L'installation du film, brillante, suit la vie de fugitif du héros, réfugié au Brésil où il travaille dans une usine. Cette première partie hérite du réalisme sec et des haletantes poursuites à pieds des aventures de Jason Bourne.

Le film se mue ensuite en un actioner bourrin, hargneux et prodigieusement bien fichu, au découpage inspiré, lisible et dynamique. Hulk bousille tout -hélicoptères, chars, bagnoles...-, court, saute, fend en deux une voiture de police pour fracasser chacun des morceaux sur la tête de son ennemi... Comic-book spirit ! La première scène de combat est même admirable : Hulk y est d'abord une silhouette furtive et impressionnante, cachée dans l'ombre, balançant soldats et objets comme des jouets à travers un entrepôt. Puis la caméra dévoile finalement son visage furieux qui émerge de l'obscurité, dans un gros plan d'autant plus marquant qu'il rompt avec le découpage du reste de la scène : impact maximum.

Dommage que les séquences intimistes souffrent énormément du manque d'émotion qu'exhale la créature (sans parler de Liv Tyler, très fade et gnangnan). On est loin des personnages de Gollum ou King Kong (expressions faciales subtiles, gestuelle ad hoc, profondeur du regard), auxquels la technique de motion capture et le jeu d'Andrew Serkis avaient conféré une stupéfiante réalité. L'Incroyable Hulk reste toutefois une superprod très réussie, une de plus dans cet été hollywoodien décidément fécond (et The Dark Knight, sûrement le chef-d'oeuvre du lot, n'est même pas encore sorti).



Enfin, Le voyage aux Pyrénées est le nouveau film des frères Larrieu, connus pour leurs comédies contemplatives, hédonistes, dingos et travaillées par les crises sexuelles. Dans Peindre ou faire l'amour, un couple de bourgeois d'âge mûr retrouvait le désir par l'échangisme. Ici, un couple d'acteurs se réfugie dans les Pyrénées pour soigner la nymphomanie de Madame. Dit comme ça, ce n'est certes pas très engageant.

Pourtant, les films des Larrieu, imprévisibles, légers, très drôles, valent bien mieux que ces résumés réducteurs : l'omniprésence de la nature y échappe aux clichés de carte postale (amples paysages, beauté de la composition, lumière un peu terne, pics mystérieux perdus dans les nuages, orages...) ; l'humour y est absurde (un ours russe qui poursuit les héros dans la montagne en faisant des pirouettes et en pissant debout, des moines chanteurs et nus, des dialogues théâtraux qui surdramatisent les situations de manière hilarante...) ; la mise en scène y est astucieuse et sensorielle (l'utilisation comique ou atmosphérique des écrans noirs)...

Bref, ne vous fiez pas à l'affiche atroce : plus riche, abstrait et céleste que Peindre ou faire l'amour, Le voyage aux Pyrénées est bien un film fou, panthéiste, inventif, d'une liberté de ton trop rare et franchement jubilatoire. Le cinéma français a besoin des Larrieu.

samedi 19 juillet 2008

CINE : HELLBOY II



En 2004, Guillermo del Toro (L'Échine du Diable) adaptait la BD Hellboy de Mike Mignola avec le succès que l'on sait : direction artistique flamboyante (photo, casting, décors, costumes, design idéaux... Mignola lui-même avait beaucoup travaillé sur le film) ; mise en scène fluide, puissante et hiératique (les poses emblématiques de Kroenen et Hellboy, les combats homériques et dévastateurs, les visions d'apocalypse...) ; atmosphère sombre et baroque (l'ouverture, le rêve de Liz, l'enterrement, le réveil de Kroenen...) ; équilibre parfait entre horreur, émotion, humour, action et étrangeté...

J'ai pu voir Hellboy II à San Francisco la semaine dernière (il ne sort en France que le... 29 octobre) et, comme les bandes-annonces le laissaient présager, le film s'avère très différent du premier épisode. Aux ambiances lovecraftiennes de Hellboy I, Hellboy II substitue un univers de fantasy foisonnant, détaillé, proche du conte de fées et du folklore - sans doute le plus riche couché sur pellicule depuis Le voyage de Chihiro (des dizaines de créatures ne sont visibles que quelques secondes !).

Somptueusement mis en images, Hellboy II porte la marque de del Toro du premier au dernier plan : l'érudit et enthousiaste Guillermo figure en effet parmi les rares cinéastes qui définissent et maîtrisent de A à Z la conception, notamment graphique, de leurs films - des dessins de préproduction, qu'il consigne dans son carnet de notes, au montage en passant par l'écriture ou les effets spéciaux. En cela, il s'apparente aux grands cinéastes d'animation. La scène d'ouverture, où le père adoptif d'un Hellboy encore adolescent lui raconte l'histoire des "légions d'or" pour qu'il s'endorme, donne le ton : il s'agit tout simplement d'un mini-court métrage d'animation en images de synthèse, au style délicieusement épuré, dont l'ampleur et les couleurs crépusculaires évoquent le prologue de la Communauté de l'Anneau.

La beauté à la fois merveilleuse et funèbre de cette introduction s'incarne dans le personnage du "méchant", le Prince Nuada. Cet Elfe pâle aux longs cheveux blancs veut reprendre la Terre aux humains en invoquant à nouveau ces sanglantes "légions d'or", créées par son père. Valorisé par le découpage époustouflant de del Toro, Nuada se déplace avec une grâce invraisemblable dans de brèves et jouissives scènes de combat à la lance et à l'épée, annihilant ses assaillants dans des postures et des chorégraphies dignes des meilleurs films d'arts martiaux hongkongais et comic books. Personnage tragique et noble, Nuada tente de séduire Hellboy en lui rappelant qu'il est un monstre tout comme lui : les hommes risquent bien de se retourner un jour contre lui...

On en arrive à ce qui aurait pu être le coeur du film : l'opposition entre Hellboy et l'espèce humaine. Il y a quelques années, alors que cette suite n'était pas même écrite, Del Toro avait annoncé vouloir approcher le personnage d'une manière plus réaliste (à la Watchmen ?) en répondant à la question suivante : comment réagirait le monde si l'existence d'une créature comme Hellboy était rendue publique ? L'idée, effectivement présente ici, est pourtant reléguée au second plan, noyée dans un film qui se concentre plutôt sur un bestiaire sublime et des scènes comico-sentimentales certes drôles et touchantes, mais peut-être moins essentielles aux enjeux dramatiques. En sous-exploitant ce thème prometteur, Del Toro limite la portée émotionnelle d'un film déjà sérieusement affaibli par la musique décevante de Danny Elfman. Dépourvue de mélodies marquantes, celle-ci se révèle très inférieure à la partition massive et mémorable composée par Marco Beltrami pour le premier Hellboy, dont elle abandonne malheureusement tous les leitmotivs (y compris le superbe Hellboy and Liz).

En l'état, Hellboy II reste l'une des superproductions hollywoodiennes les plus bizarres, personnelles et audacieuses vues depuis le Batman Returns de Tim Burton, ou... le premier Hellboy. L'orientation fantasy de cet épisode annonce le prochain projet, énorme, du réalisateur : une adaptation en deux parties du Bilbo le hobbit de Tolkien pour Peter Jackson, auteur de la trilogie du Seigneur des Anneaux. Sortie en 2011.

jeudi 17 juillet 2008

VOYAGE : SAN FRANCISCO

A : Souffrez-vous d'une maladie contagieuse ; de troubles physiques ou mentaux ; ou consommez-vous des drogues et stupéfiants ou êtes-vous toxicomane ?
B : Avez-vous déjà été arrêté ou inculpé pour un crime ou délit relatifs aux mœurs ou une violation relative à l'usage de stupéfiants ; avez-vous été arrêté ou inculpé pour 2 délits ou plus et soumis à une peine d'emprisonnement conséquente de cinq ans ou plus ; avez-vous été revendeurs de stupéfiants ; avez-vous l'intention de commettre des activités illicites ou de nature criminelle ?

C : Avez-vous été par le passé ou êtes-vous actuellement impliqué dans des activités d'espionnage ou de sabotage ; des activités terroristes ; un génocide ; ou avez-vous d'une manière ou d'une autre participé aux actes de persécution commis par l'Allemagne nazie ou ses alliés entre 1933 et 1945 ?
...

Haha, sacrés eux. Me voilà donc de retour aux Etats-Unis, bien plus tôt que je ne l'aurais pensé ^^ (voyage de presse, merci Lara Croft) San Francisco est une ville fort agréable, beaucoup moins étendue et verticale (tremblements de terre obligent) que l'intimidante New York. Les gens y sont moins stressés, le temps étonnamment frisquet (brumes très fréquentes portées par le vent du Pacifique), les pentes aussi fortes qu'on ne l'imagine (on se croirait parfois à la montagne), les feux affichent un compte à rebours avant de passer au rouge (très rigolo, des micro-aventures pleines de suspense à chaque coin de rue, traversera-t-il à temps tintintin !), les vues sur la grande baie sont jolies, le Golden Gate Bridge est monumental... et le Virgin regorgeait de trucs intéressants (le très rare Bottle Rocket, premier film de Wes Anderson, des coffrets de l'autre série du co-créateur de Seinfeld, Curb your Enthusiasm, et j'en passe).

Et puis j'ai pu marcher des heures, voir le somptueux Hellboy II (sortie le... 29 octobre en France, chronique bientôt sur le blog) et le divertissant Voyage au centre de la Terre en 3D (impressionnant, on a vraiment le sentiment que certains éléments se situent à dix centimètres du nez), visiter le Moma et le musée du cartoon, pratiquer le Sake Boom ! avec de sympathiques autochtones et journalistes... Sake Boom, quoi qu'où qu'est-ce ? Récit en images et en textes.