mercredi 17 janvier 2007

LIVRE : GLISSEMENT DE TEMPS SUR MARS, CRONENBERG ET LA REALITE...

Enfin réédité chez Pocket en décembre 2006 après une dizaine d'années d'indisponibilité, le méconnu "Glissement de temps sur Mars", du grand Philip K. Dick (dont l'oeuvre considérable a inspiré, directement ou indirectement, des films comme Blade Runner, A Scanner Darkly, Minority Report ou Ouvre les yeux), est probablement mon livre préféré de cet auteur - Dick lui-même le considère comme un livre important à ses yeux. Riche et acéré, le roman entier se fonde sur une multiplicité de points de vue qui s'entrecroisent, notamment ceux de deux personnages schizophrènes : Jack Bohlen, le héros, et Manfred Steiner, un enfant enfermé dans sa perception morbide d'un futur décomposé (ce qui donne lieu aux descriptions les plus saisissantes du bouquin). Cette narration complexe, loin d'être gratuite, permet d'explorer profondément des thèmes centraux chez Dick : l'incommunicabilité, le caractère relatif et insaisissable de la réalité et de l'identité, la mort... Dans la postface, qui analyse finement la période "martienne" de Philip K. Dick, une citation de l'auteur résume quelques-unes de ses obsessions :

"J'ai le sentiment profond qu'à un certain degré il y a presque autant d'univers qu'il y a de gens, que chaque individu vit en quelque sorte dans un univers de sa propre création. Les difficultés apparaissent quand une tentative de communication s'établit entre plusieurs personnes, si leurs visions du monde sont trop différentes, la communication est illusoire"
Une très belle, longue et passionnante interview du cinéaste David Cronenberg par Gérard Delorme, parue en mai 1999 dans Première à l'occasion de la sortie d'eXistenZ, développe des idées connexes. En voici quelques extraits :

"Un cinéaste -et a fortiori un artiste- en vient toujours à créer sa propre version de la réalité, qui peut lui paraître plus intense et plus réelle que ce que la plupart des gens considèrent comme la réalité. D'un point de vue philosophique, je crois sincèrement que toute réalité est virtuelle. Si on pouvait vraiment se mettre dans la tête de quelqu'un d'autre, on serait très choqué de réaliser à quel point chaque chose est perçue différemment. Ca serait comme le plus bizarre des voyages provoqués par la drogue".

"Pour communiquer, nous avons besoin d'un langage consensuel et absolu. Or, c'est impossible parce qu'en même temps, le langage doit être organique et s'adapter aux circonstances qui, elles mêmes, changent constamment. Le langage est donc paradoxal. L'art encore plus. Par sa nature même, l'art n'est pas précis. C'est justement une partie de son pouvoir d'être suggestif, allusif et ambigu".


"Ce ne sont pas tant les drogues qui m'intéressent que les moyens par lesquels nous cherchons à altérer ce que nous considérons comme la réalité de base. Ainsi, nous mesurons à quel point la réalité est une invention, une convention plutôt qu'un absolu. La première fois que quelqu'un prend de l'acide, il se rend compte que les couleurs, les odeurs, les formes sont différentes à un point qu'il ne pouvait soupçonner auparavant. Pour Fellini, ça a été une révélation. Il s'est rendu compte que sa vision catholique de la réalité n'était pas la seule option possible. Pour certains, le révélateur vient de l'art. Pour d'autres, c'est la lecture de William Burroughs".

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