dimanche 30 mars 2008

UNE CITATION

"- Qu’est-ce que l’art ? Qu’est-ce que la bande dessinée ? En quoi ces deux domaines peuvent-ils se rejoindre sur une définition esthétique ?

Pierre Sterckx : - J’aimerais poser la question sous l’angle de l’art majeur et de l’art mineur, car c’est ce qui nous embarrasse souvent dans cette question. Si la BD est de l’art ? Il y a des gens qui répondent oui, mais il y a de l’art majeur et de l’art mineur. Ca, c’est une très mauvaise affaire parce qu’Alexandre Dumas est resté un écrivain mineur aussi longtemps qu’il n’était pas dans la Pléiade. Pourquoi était-il mineur ? Parce qu’il amusait les gens. Un autre exemple ? Charlie Chaplin n’était pas considéré comme un artiste pendant des dizaines d’années puis tout à coup, on a dit que c’était un sommet du cinéma qui est un art, alors que c’était du divertissement. Pour Shakespeare ça a été la même chose, alors je crois que la BD est bien placée pour subir ce genre de jugement a priori. Ah ! C’est marrant, c’est des petits Mickeys, donc c’est mineur ! Oui mais ça peut devenir majeur à tout moment.

Fabrice Bousteau : - Je ne suis pas d’accord, j’ai même l’impression qu’on ne considère pas la bande dessinée comme un art mineur. La bande dessinée est un art à part entière, mais un art qui a un langage et un mode d’emploi, d’utilisation, de perception, de création très différents de ceux de l’art contemporain. Ce qui n’empêche pas des passerelles et des rencontres très importantes entre bande dessinée et cinéma, bande dessinée et littérature, bande dessinée et art contemporain. Le problème, c'est que les auteurs de bande dessinée voudraient être considérés comme des "artistes" au même titre que Van Gogh, avec l’image du créateur sacralisé. Dans l’art contemporain, c’est pareil, cette notion de reconnaissance sociale du créateur existe puisque, pendant très longtemps, n’étaient considérés comme artistes que les peintres. Je me souviens, on parlait des installateurs en les dénigrant complètement. Tout ça pour moi est dû à des problèmes d’identité sociale. (…) L’important, c’est la reconnaissance de ses pairs. Qu’on soit musicien, écrivain, il faut être reconnu par les meilleurs. La capacité de sacralisation de la société vient du musée, de nulle part ailleurs. La nouvelle académie aujourd’hui, ce n’est plus l’institution, c’est le musée, qu’il soit public ou privé. (…)

Christophe Blain : - Plus que vers l’art contemporain, c’est vers la littérature et le cinéma que la BD va chercher sa renaissance. En abordant des sujets de société, notamment par le biais de l’autobiographie, qui appartiennent traditionnellement à la littérature et au cinéma, la BD essaie de gagner ses lettres de noblesse et sa légitimité. Ce n’est plus un problème de forme (le beau dessin, le graphisme, la comparaison avec la peinture) mais un problème de fond (les thèmes et sujets évoqués). (…)

Fabrice Bousteau : - Je crois qu’il y a une sorte de pénétration douce d’une forme de culture de bande dessinée auprès du grand public, c’est-à-dire que doucement, progressivement, l’idée que la bande dessinée est un truc pour gamins est en train de disparaître, que l’hypothèse que la bande dessinée serait forcément un truc avec une histoire et que ça devrait être drôle s’efface au profit d’autres considérations".

- Extrait du dernier Hors-Série BD de BeauxArts Magazine, Qu'est-ce que la bande-dessinée aujourd'hui ?, un excellent recueil de portraits, articles, planches et histoires courtes inédites, sorti en décembre 2007 et encore disponible ici. D'ailleurs, remplacez "BD" par "jeu vidéo" dans cet extrait et ça marche très bien aussi ^^

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Le problème d'un quelconque statut artistique dans une discipline tiens surtout dans une possible reconnaissance de ce qui la distingue des autres arts tout en conservant la force de ce qui fait "l'artistité" en général. "Chaque art produit des vérités qui lui sont propres" comme dirait l'autre, et c'est en partant à la recherche de celles-ci qu'une discipline peut se prévaloir (ou pas) de "l'art" au sens universel du mot...

Blog l'éponge a dit…

Complètement d'accord. Mais les intervenants parlent surtout, ici, de la dimension "reconnaissance institutionnelle et publique" du sujet.

Daisy a dit…

hum... la classique opposition Art et Culture ;)