mercredi 30 juillet 2008

CINE : BRIC A BRAC

Ces derniers mois, mes yeux spongieux ont absorbé une pléthore de films intéressants... On se rattrape dans un billet-compil (et encore, il en manque).

La personne aux deux personnes, premier long-métrage des deux auteurs de l'émission culte Message à caractère informatif (vidéos ici, ne loupez surtout pas celle-là et celle-là), est l'échec commercial le plus immérité de l'année. Il s'agit d'une sorte de version française du conceptuel et zarbi Dans la peau de John Malkovich, où un marionnettiste découvrait une porte donnant accès à... l'esprit de John Malkovich. Ici, c'est l'esprit de Gilles Gabriel, chanteur ringard des années 80 (Chabat) qui se retrouve enfermé dans la tête d'un pov salarié encore plus ringard (Auteuil) après un accident de voiture. Ainsi accompagné, Auteuil va bouleverser ses habitudes...

Mis en scène de manière très soignée (beaucoup d'idées et gags visuels, des cadres très ordonnés qui illustrent le quotidien gris et millimétré d'Auteuil...), le film exploite brillamment son pitch dans un contexte satirique, celui de la COGIP (Consortium Organisationnel de Gestion Institutionnelle et Patrimoniale). Le film associe une esthétique seventies morne (très proche des films d'entreprise de Message à caractère informatif) à un vocabulaire corporate grotesque et très contemporain.

Auteuil est violemment bon : présent dans chaque plan, il tient le film entier sur ses épaules, discutant à voix haute avec Chabat du début à la fin (pendant le tournage, Chabat, isolé dans une tente insonorisée, donnait la réplique à Auteuil avec un système d'oreillettes et de micros). Sa performance géniale rend crédibles, touchantes et à crever de rire les scènes les plus improbables sur le papier (et le film n'en manque pas). Malgré une importante et astucieuse campagne de promo (faux clip de Gilles Gabriel, faux site de la COGIP...), le film s'est vautré, dépassant péniblement les 200.000 entrées. Enfer !



Valse avec Bachir évoque le massacre de Sabra et Chatila. Sa structure narrative fragmentée voit le narrateur, double du cinéaste, recouvrer peu à peu la mémoire des événements, auquel il a assisté lorsqu'il était soldat israélien mais dont il n'a plus aucun souvenir. Film d'animation hybride, Valse avec Bachir mêle autobiographie (scènes et détails inspirés de l'expérience du réalisateur), fiction (l'intrigue générale), témoignages (entretiens édifiants avec un journaliste, des soldats, des civils), expressionnisme (le rêve d'ouverture fantastique et symbolique où des chiens monstrueux traversent la ville jusqu'à l'appartement d'un personnage)... Choc esthétique, puissante introspection psychanalytique et onirique, documentaire glaçant, Valse avec Bachir déglorifie la guerre ("Il n'y a aucun courage, aucune virilité, aucune amitié à défendre là", affirme le réalisateur). Et met à la portée d'un large public un sujet important. L'un des films essentiels du début d'année.



Wanted, maintenant. Tout le monde le dit et c'est vrai : Wanted = Matrix + Fight Club en version ultra vulgaire, fendarde mais finalement pas bête. Le thème, déjà clairement indiqué par le slogan de l'affiche ("Choisis ton destin"), est en effet aussi explicite que la réplique et le regard caméra lancés au spectateur par le héros à la toute fin du film. Il peut se résumer ainsi : "Hey toi, la larve immobile au fond de ton siège qui vit mon aventure par procuration, qu'as-tu fait récemment pour prendre ta vie en mains ?".

En cela, et parce que le parcours initiatique du héros, raconté en voix off, est comparable à celui d'Edward Norton, Wanted rappelle Fight Club ("Hey toi l'employé modèle avec appart Ikéa, quitte cette merde matérialiste et vis vraiment") mais aussi Collateral ("Hey toi le chauffeur de taxi, arrête de te trouver des excuses bidons pour repousser la réalisation de tes rêves et vas-y maintenant") ou évidemment l'historique série d'animation jap Evangelion ("Hey toi l'otaku, arrête de passer tes journées à analyser des scénarii pseudo-ésotériques à la con, cesse de te complaire dans ta position en pleurnichant et sors de chez toi"). Bref, Wanted, c'est à la fois stupide, laid, drôle, ironique, sérieux, dramatique, over-the-top, et pas idiot. Et il y a des balles dont la trajectoire se tord, des voitures qui font des sauts super stylés et une pour une fois très jolie Angelina.



Bottle Rocket est le premier film de Wes Anderson (Rushmore, A bord du Darjeeling Limited). On y trouve déjà ce regard décalé sur la vie : celui de grands Peter Pan tristounets qui refusent de grandir et jouent à "faire comme si" pour réenchanter le monde et se soustraire à ses contraintes. Sauf que le monde, bien sûr, les saisit tôt ou tard avec ses gros bras velus et leur colle la tronche sous ses aisselles pour leur montrer à quel point il est michant.

Ici, le personnage vaguement neuneu d'Owen Wilson cherche à entraîner son entourage dans des pseudo-opérations criminelles. Celles-ci détournent les conventions du film de genre avec une fraîcheur et un ridicule enfantins (on retrouvera régulièrement cette idée chez le cinéaste, notamment dans les scènes de vengeance de Rushmore ou la fusillade débilissime de la Vie Aquatique). On quitte Bottle Rocket dans cet état paradoxal de méga pêche mélancolique, typiquement andersonien. Tout est possible, même pour ses personnages dépressifs et inadaptés. Ha ben ça rassure, merci.



L'Incroyable Hulk est une bonne surprise. Largement réécrit par l'excellent Edward Norton qui en endosse le rôle principal, le film commence par un générique foudroyant qui résume les origines du personnage en quelques minutes. L'installation du film, brillante, suit la vie de fugitif du héros, réfugié au Brésil où il travaille dans une usine. Cette première partie hérite du réalisme sec et des haletantes poursuites à pieds des aventures de Jason Bourne.

Le film se mue ensuite en un actioner bourrin, hargneux et prodigieusement bien fichu, au découpage inspiré, lisible et dynamique. Hulk bousille tout -hélicoptères, chars, bagnoles...-, court, saute, fend en deux une voiture de police pour fracasser chacun des morceaux sur la tête de son ennemi... Comic-book spirit ! La première scène de combat est même admirable : Hulk y est d'abord une silhouette furtive et impressionnante, cachée dans l'ombre, balançant soldats et objets comme des jouets à travers un entrepôt. Puis la caméra dévoile finalement son visage furieux qui émerge de l'obscurité, dans un gros plan d'autant plus marquant qu'il rompt avec le découpage du reste de la scène : impact maximum.

Dommage que les séquences intimistes souffrent énormément du manque d'émotion qu'exhale la créature (sans parler de Liv Tyler, très fade et gnangnan). On est loin des personnages de Gollum ou King Kong (expressions faciales subtiles, gestuelle ad hoc, profondeur du regard), auxquels la technique de motion capture et le jeu d'Andrew Serkis avaient conféré une stupéfiante réalité. L'Incroyable Hulk reste toutefois une superprod très réussie, une de plus dans cet été hollywoodien décidément fécond (et The Dark Knight, sûrement le chef-d'oeuvre du lot, n'est même pas encore sorti).



Enfin, Le voyage aux Pyrénées est le nouveau film des frères Larrieu, connus pour leurs comédies contemplatives, hédonistes, dingos et travaillées par les crises sexuelles. Dans Peindre ou faire l'amour, un couple de bourgeois d'âge mûr retrouvait le désir par l'échangisme. Ici, un couple d'acteurs se réfugie dans les Pyrénées pour soigner la nymphomanie de Madame. Dit comme ça, ce n'est certes pas très engageant.

Pourtant, les films des Larrieu, imprévisibles, légers, très drôles, valent bien mieux que ces résumés réducteurs : l'omniprésence de la nature y échappe aux clichés de carte postale (amples paysages, beauté de la composition, lumière un peu terne, pics mystérieux perdus dans les nuages, orages...) ; l'humour y est absurde (un ours russe qui poursuit les héros dans la montagne en faisant des pirouettes et en pissant debout, des moines chanteurs et nus, des dialogues théâtraux qui surdramatisent les situations de manière hilarante...) ; la mise en scène y est astucieuse et sensorielle (l'utilisation comique ou atmosphérique des écrans noirs)...

Bref, ne vous fiez pas à l'affiche atroce : plus riche, abstrait et céleste que Peindre ou faire l'amour, Le voyage aux Pyrénées est bien un film fou, panthéiste, inventif, d'une liberté de ton trop rare et franchement jubilatoire. Le cinéma français a besoin des Larrieu.

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